2019-S39-UMONS-GAAC
Posté : 02 oct. 2019 12:58
Voici avec un peu de retard, les premières pages de notre journal de bord...
Jeudi 19 septembre 2019
L'été se termine dans quelques heures ; l'équinoxe d'automne est à nos portes. Le moment est venu de fermer les dossiers, de mettre de côté les questions non encore résolues. De savourer le travail accompli. De saluer mon incroyable équipe, que de belles choses réalisées ! Saluer les siens. Le temps de la transhumance est arrivé. Enfin. Quitter la plaine. Départ imminent. Le Pic de Château Renard nous attend. Respirer à 3000 m. Vivre à 3000 m. Explorer à 3000 m. La Terre et le Ciel. Pouvoir à nouveau plonger au coeur des profondeurs cosmiques. Vivre une aventure faite de rire et de curiosité. De joie de vivre et d'émerveillement. De calme absolu et de bouillonnement intense. Vous l'aurez deviné, c'est parti pour la nouvelle mission à l'Observatoire de Saint-Véran ! Si vous voulez, je peux essayer de vous raconter au jour le jour... Ca vous dit ?
Samedi 21 septembre 2019.
Après une longue traversée de la France – et une brève incursion en Italie -, nous voici au pied du village de Saint-Véran, l’un des plus beaux de France, le plus haut ! Saint-Véran et ses superbes maisons de bois, ses fontaines, ses cadrans solaires. On dit qu’à Saint-Véran, les coqs picorent les étoiles. Et c’est que nous aussi, on a bien envie de les picorer, les étoiles !
Nous saluons les copains qui montent en voiture, avec vivres, bagages et matériel.
À l’heure du départ, chacun y va de sa petite question, de son petit doute personnel : combien de couches de vêtements ? Polar ou coupe-vent ? Et là-haut, comment cela va-t-il se passer ?
La météo est superbe. L’atmosphère incroyablement limpide, la lumière diaphane. Les conditions sont idéales pour attaquer la grande montée. David sera notre guide, il connait les lieux comme sa poche. Ca tombe bien, car l’an dernier, nous avions emprunté un sentier qui n’en était pas un .
Dès les premiers pas, les esprits se détendent, les doutes se dissipent. Ca monte fort, très fort. Nous quittons le village. Le décor est splendide. Quel privilège que d’être ici, là, maintenant, et d’aller où nous allons !
Bonne humeur et bienveillance sont au rendez-vous. Petit pas après petit pas, nous montons, nous surmontons les difficultés. Chacun à son rythme. L’effort physique n’est pas négligeable. Notre marche se synchronise naturellement avec nos bâtons. Comme une allégorie de la vie finalement.
C’est que l’arrivée à l’observatoire se mérite. À l’heure où des milliers d’avions transportent chaque jour des millions de passagers de par le monde, en ces temps étranges où la planète n’a jamais été aussi petite, où quelques heures suffisent pour aller de New-York à Pékin, nous, nous sommes toujours en pleine transhumance ! Nous avons quitté les contrées du Nord hier matin avant le lever du Soleil, et nous ne sommes pas encore arrivés. Le temps nécessaire pour se couper de la fébrilité du monde, et en revenir aux sources. Cette montée n’est pas anodine. Éloge de la lenteur. Étonnamment, je voudrais qu’elle ne se termine jamais.
Nous sommes immergés dans la grandeur. Et toujours cette pensée incessante qui revient à chaque séjour en montagne. Cette sensation forte de ne n’être qu’un misérable puceron pensant, issu d’une espèce biologique aujourd’hui capable d’explorer les autres mondes, de libérer l’énergie du cœur des atomes, de se réparer elle-même… mais aussi de tout envahir, de tout détruire, irrémédiablement.
Et ce paysage minéral nous rappelle que les lois qui ont façonné notre Terre sont les mêmes qui celles qui ont dessiné les paysages de la Lune, de Mars ou de Vénus… Quelques valeurs de paramètres un peu différentes, et c’est le destin d’un monde qui bascule.
Nous montons, encore et toujours. Magie de la randonnée et de son rapport au temps, nous apprenons à nous connaître. Cette ascension est un moment fort.
Petite pause, Nicolas nous fait découvrir un insecte étonnant, l’ichneumon, capable d’endormir sa proie, de l’emporter dans sa tanière, et d’y injecter ses œufs : ses larves auront ainsi directement de quoi se nourrir ! Je ne connais rien de tout cela. Vertige de la connaissance. La Vie est bien trop courte pour tout explorer. Accepter et savourer.
Au fur et à mesure de la montée, le paysage devient de plus en plus aride et spectaculaire. Côté ciel, de fins cirrus commencent à recouvrir le ciel. Leurs cristaux de glace hexagonaux ont tôt fait d’orner le Soleil d’un grand halo.
Certains parmi nous commencent malheureusement à éprouver des crampes, de plus en plus violentes.
Nous voici désormais dans la zone des caillasses. Ici, tout est pierre. Nous marchons sur un sentier rocailleux qui traverse une gorge de pierres, souvent plates. Nous sommes en fait sur un ancien fond marin et ces plaques nous rappellent l’origine sédimentaire de ces hautes terres. Maxime attire notre attention sur les déformations que cet environnement a subi au cours de sa longue histoire : des strates totalement repliées sur elles-mêmes, derniers témoins des forces cyclopéennes qui ont modelé les Alpes. Et ce calme, de plus en plus absolu. Lorsque le vent cesse durant quelques instant de caresser nos oreilles, le seul bruit que nous entendons est le bourdonnement, le bruit de fond généré par notre propre système auditif !
Un vautour nous survole. Avec malice, nous nous amusons à expliquer à notre compagnon de voyage souffrant de crampes que le grand oiseau a été attiré par sa production effrénée d’acide lactique, et qu’il s’apprête à prendra sa collation ! Bon, c’est pas très sympa, mais qu’est-ce qu’on a ri !
Cela fait plus de cinq heures que nous avons quitté le village. Cette fois, le pic de Château Renard est là, devant nous, spectaculaire. Nous le contournons par la droite. Derniers lacets. Les copains montés en véhicules tout terrain viennent à notre rencontre. Les trois coupoles font leur apparition. Nous y sommes ! Même les plus discrets de la bande présentent un petit sourire qui en dit long. Les « primo-montants » sont impressionnés. Les autres heureux de retrouver leur nid d’aigle, leur balcon ouvert sur l’Univers, leur belle cabane perchée là-haut près des étoiles. Il fait gris, la lumière n’est pas très belle, mais il fait chaud dans les cœurs. Cette montée initiatique a eu raison des derniers petits stress et relents de la vie citadine.
Nous rencontrons Virgile, Michel, René et Denise, présents là-haut depuis deux semaines pour une importante mission technique. Le boulot qu’ils ont réalisé avec Dominique – quel bonheur de le retrouver à chaque mission ! - est tout simplement bluffant. L’intérieur de la grande coupole du télescope historique de 62 cm de diamètre a été totalement revu : des élèves d’un lycée technique de la région ont construit et installé une toute nouvelle structure en bois qui permet de monter au T62 ! Ils ont passé quelques jours à l’observatoire pour tout installer : quelle expérience incroyable et inoubliables pour eux, et quel cadeau ils offrent ainsi à la communauté des amoureux du ciel ! Tous les câblages électriques et électroniques ont été refaits, tout a été remis en peinture, y compris la fameuse manivelle pour faire tourner à la force des bras l’énorme coupole. L’équipe a aussi installé superbe plancher. Whaow. Et les deux autres coupoles ne sont pas en reste !
Nous prenons possession de nos chambres. Nous sommes envahis par une saine et douce fatigue.
Cette mission est une mission conjointe entre notre cercle d’astronomie de l’UMONS, Olympus Mons et le Groupe d’Astronomes amateurs de Courrières (GAAC) : Montois et Chtis sous le même toit ! Ce sont les copains du GAAC qui coordonnent la mission et qui nous ont invités. On en parlait depuis des années, le moment était venu de passer aux actes. Leur expérience est précieuse, ils sont habitués à venir en nombre. Nous sommes 18, et tout se passe admirablement bien !
Mais qu’allons-nous faire durant cette semaine ? En ce qui me concerne, rêvasser et écrire bien entendu, mais quoi d’autre ?
Les potes du GAAC sont incroyablement doués en astrodessin, une discipline peu connue, rarement pratiquée, mais ô combien magique ! L’œil à l’oculaire des puissants télescopes de l’observatoire, ils vont observer à l’ancienne, inlassablement, amas de galaxies et nébuleuses planétaires - parfois sous des grossissements de 1000 fois ! -, pour en déposer sur le papier leurs infimes nuances. Au sein de notre groupe montois, Nicolas s’essaie lui aussi à l’astrodessin, et cette mission commune constitue pour lui une sacrée opportunité de progresser.
Quant à Cédric, Maxime, Michaël, Joël et les autres, c’est plutôt l’astrophoto qui occupera leur nuit. Maxime et Christophe ont également prévu une campagne de prises de vue au drone. Un nouveau drone, puisque l’an dernier, notre drone s’était incompréhensiblement fracassé sur les hauteurs du Pic.
Mais cette mission comporte un volet assez unique, totalement inédit. Impossible pour moi de ne pas vous en raconter la genèse, qui remonte à notre précédente mission, en août 2018.
À cette époque, l’ami Quentin, l’un des astrophotographes les plus talentueux de notre équipe, parvient à réaliser des clichés du ciel d’une qualité rare, qui montrent notamment la présence du phénomène peu connu d’airglow : de grandes bandes vertes, régulièrement espacées, strient le ciel noir du Queyras. L’atmosphère est ici tellement pure ici et préservée de la pollution lumineuse que régulièrement les astrophotographes parviennent à détecter l’émission de lumière émis par l’air lui-même, stimulé par le rayonnement solaire ! Cette année-là, Jean-François Gelly, animateur à l’observatoire, et l’ami Simon Lericque du GAAC parviennent aussi à photographier l’airglow.
Or, en février 2019, nous avons la chance d’accueillir à Mons Jean Lilensten, l’un des meilleurs spécialistes au monde des aurores boréales et des interaction entre le Soleil et la Terre. Jean travaille à l’Institut d’Astrophysique et de Planétologie de Grenoble. C’est lui qui a imaginé la fameuse planeterrella - la machine à produire des aurores boréales dans un bocal ! - qu’il nous a permis de reproduire à Mons. Alors que nous buvons un café sur la Grand-Place de Mons, je lui montre, juste pour le plaisir, l’une des photos de Quentin qui montre notamment l’airglow. Jean est très impressionné par la présence de structure dans l’airglow… « Trop cool ! M’autorisez-vous à montrer cette photo à mon équipe ? Faut qu’on monte une expédition là-haut pour étudier l’airglow avec le matériel que nous utilisons habituellement pour l’étude des aurores polaires ! » Whaow !!! Mais peut-être Jean parle-t-il sur le coup de l’enthousiasme ? Et non, car à l’heure où j’écris ces quelques lignes, nous sommes à l’observatoire avec Léo, l’un des doctorants en astrophysique de Jean, qui nous a rejoints avec le fameux matériel. Et ce n’est pas tout, car notre pote Bruno, physicien montois qui travaille aujourd’hui à l’Observatoire royal de Belgique, est aussi de la partie, pour étudier l’effet éventuel de l’airglow sur les signaux GPS ! Un des objectifs de la mission est donc l’étude combinée de l’airglow, en combinant les photos réalisées par les astrophotographes de la mission,et les mesures spécifiques de Léo et celles de Bruno ! Aucune idée de ce que cela pourra donner. Peut-être rien, mais le jeu en vaut la chandelle !
Pendant que les copains se coordonnent ce soir pour préparer l’opération airglow, une pluie glaciale tombe sur le pic de Châteaurenard. Mais dans la base, l’ambiance est merveilleuse, surtout quand Virgile et les autres s’amusent à nous titiller avec leurs objets-mystère, des instruments de mesure d’un autre temps, conçus par des génies ! Émerveillement et rire, chaleur humaine, beauté des rencontres inattendues.
Je comprends que j’ai la chance d’assister à la rencontre de trois générations d’astronomes amateurs. Ceux aux cheveux blancs qui ont contribué à faire de l’observatoire l’incroyable structure qu’il est aujourd’hui, ceux qui en profitent comme nous, et les jeunes qui montent pour la première fois et qui prendront peut-être le relai un jour
J’adore…
Et quand au moment où je m’apprête à tirer ma révérence pour aller enfin me coucher, les mots « pendule » et « expérience de Fizeau » résonnent dans la base ! Je comprends que je ne suis pas prêt d’aller au lit ! Qui pouvait imager que par une sombre nuit glaciale à 3000 m d’altitude, j’allais rencontrer d’autres constructeurs de pendules de Foucault, ainsi que des passionnés désireux de reproduire l’expérience de Fizeau ?
Quel sacré nid de cinglés cet observatoire !!!
Jeudi 19 septembre 2019
L'été se termine dans quelques heures ; l'équinoxe d'automne est à nos portes. Le moment est venu de fermer les dossiers, de mettre de côté les questions non encore résolues. De savourer le travail accompli. De saluer mon incroyable équipe, que de belles choses réalisées ! Saluer les siens. Le temps de la transhumance est arrivé. Enfin. Quitter la plaine. Départ imminent. Le Pic de Château Renard nous attend. Respirer à 3000 m. Vivre à 3000 m. Explorer à 3000 m. La Terre et le Ciel. Pouvoir à nouveau plonger au coeur des profondeurs cosmiques. Vivre une aventure faite de rire et de curiosité. De joie de vivre et d'émerveillement. De calme absolu et de bouillonnement intense. Vous l'aurez deviné, c'est parti pour la nouvelle mission à l'Observatoire de Saint-Véran ! Si vous voulez, je peux essayer de vous raconter au jour le jour... Ca vous dit ?
Samedi 21 septembre 2019.
Après une longue traversée de la France – et une brève incursion en Italie -, nous voici au pied du village de Saint-Véran, l’un des plus beaux de France, le plus haut ! Saint-Véran et ses superbes maisons de bois, ses fontaines, ses cadrans solaires. On dit qu’à Saint-Véran, les coqs picorent les étoiles. Et c’est que nous aussi, on a bien envie de les picorer, les étoiles !
Nous saluons les copains qui montent en voiture, avec vivres, bagages et matériel.
À l’heure du départ, chacun y va de sa petite question, de son petit doute personnel : combien de couches de vêtements ? Polar ou coupe-vent ? Et là-haut, comment cela va-t-il se passer ?
La météo est superbe. L’atmosphère incroyablement limpide, la lumière diaphane. Les conditions sont idéales pour attaquer la grande montée. David sera notre guide, il connait les lieux comme sa poche. Ca tombe bien, car l’an dernier, nous avions emprunté un sentier qui n’en était pas un .
Dès les premiers pas, les esprits se détendent, les doutes se dissipent. Ca monte fort, très fort. Nous quittons le village. Le décor est splendide. Quel privilège que d’être ici, là, maintenant, et d’aller où nous allons !
Bonne humeur et bienveillance sont au rendez-vous. Petit pas après petit pas, nous montons, nous surmontons les difficultés. Chacun à son rythme. L’effort physique n’est pas négligeable. Notre marche se synchronise naturellement avec nos bâtons. Comme une allégorie de la vie finalement.
C’est que l’arrivée à l’observatoire se mérite. À l’heure où des milliers d’avions transportent chaque jour des millions de passagers de par le monde, en ces temps étranges où la planète n’a jamais été aussi petite, où quelques heures suffisent pour aller de New-York à Pékin, nous, nous sommes toujours en pleine transhumance ! Nous avons quitté les contrées du Nord hier matin avant le lever du Soleil, et nous ne sommes pas encore arrivés. Le temps nécessaire pour se couper de la fébrilité du monde, et en revenir aux sources. Cette montée n’est pas anodine. Éloge de la lenteur. Étonnamment, je voudrais qu’elle ne se termine jamais.
Nous sommes immergés dans la grandeur. Et toujours cette pensée incessante qui revient à chaque séjour en montagne. Cette sensation forte de ne n’être qu’un misérable puceron pensant, issu d’une espèce biologique aujourd’hui capable d’explorer les autres mondes, de libérer l’énergie du cœur des atomes, de se réparer elle-même… mais aussi de tout envahir, de tout détruire, irrémédiablement.
Et ce paysage minéral nous rappelle que les lois qui ont façonné notre Terre sont les mêmes qui celles qui ont dessiné les paysages de la Lune, de Mars ou de Vénus… Quelques valeurs de paramètres un peu différentes, et c’est le destin d’un monde qui bascule.
Nous montons, encore et toujours. Magie de la randonnée et de son rapport au temps, nous apprenons à nous connaître. Cette ascension est un moment fort.
Petite pause, Nicolas nous fait découvrir un insecte étonnant, l’ichneumon, capable d’endormir sa proie, de l’emporter dans sa tanière, et d’y injecter ses œufs : ses larves auront ainsi directement de quoi se nourrir ! Je ne connais rien de tout cela. Vertige de la connaissance. La Vie est bien trop courte pour tout explorer. Accepter et savourer.
Au fur et à mesure de la montée, le paysage devient de plus en plus aride et spectaculaire. Côté ciel, de fins cirrus commencent à recouvrir le ciel. Leurs cristaux de glace hexagonaux ont tôt fait d’orner le Soleil d’un grand halo.
Certains parmi nous commencent malheureusement à éprouver des crampes, de plus en plus violentes.
Nous voici désormais dans la zone des caillasses. Ici, tout est pierre. Nous marchons sur un sentier rocailleux qui traverse une gorge de pierres, souvent plates. Nous sommes en fait sur un ancien fond marin et ces plaques nous rappellent l’origine sédimentaire de ces hautes terres. Maxime attire notre attention sur les déformations que cet environnement a subi au cours de sa longue histoire : des strates totalement repliées sur elles-mêmes, derniers témoins des forces cyclopéennes qui ont modelé les Alpes. Et ce calme, de plus en plus absolu. Lorsque le vent cesse durant quelques instant de caresser nos oreilles, le seul bruit que nous entendons est le bourdonnement, le bruit de fond généré par notre propre système auditif !
Un vautour nous survole. Avec malice, nous nous amusons à expliquer à notre compagnon de voyage souffrant de crampes que le grand oiseau a été attiré par sa production effrénée d’acide lactique, et qu’il s’apprête à prendra sa collation ! Bon, c’est pas très sympa, mais qu’est-ce qu’on a ri !
Cela fait plus de cinq heures que nous avons quitté le village. Cette fois, le pic de Château Renard est là, devant nous, spectaculaire. Nous le contournons par la droite. Derniers lacets. Les copains montés en véhicules tout terrain viennent à notre rencontre. Les trois coupoles font leur apparition. Nous y sommes ! Même les plus discrets de la bande présentent un petit sourire qui en dit long. Les « primo-montants » sont impressionnés. Les autres heureux de retrouver leur nid d’aigle, leur balcon ouvert sur l’Univers, leur belle cabane perchée là-haut près des étoiles. Il fait gris, la lumière n’est pas très belle, mais il fait chaud dans les cœurs. Cette montée initiatique a eu raison des derniers petits stress et relents de la vie citadine.
Nous rencontrons Virgile, Michel, René et Denise, présents là-haut depuis deux semaines pour une importante mission technique. Le boulot qu’ils ont réalisé avec Dominique – quel bonheur de le retrouver à chaque mission ! - est tout simplement bluffant. L’intérieur de la grande coupole du télescope historique de 62 cm de diamètre a été totalement revu : des élèves d’un lycée technique de la région ont construit et installé une toute nouvelle structure en bois qui permet de monter au T62 ! Ils ont passé quelques jours à l’observatoire pour tout installer : quelle expérience incroyable et inoubliables pour eux, et quel cadeau ils offrent ainsi à la communauté des amoureux du ciel ! Tous les câblages électriques et électroniques ont été refaits, tout a été remis en peinture, y compris la fameuse manivelle pour faire tourner à la force des bras l’énorme coupole. L’équipe a aussi installé superbe plancher. Whaow. Et les deux autres coupoles ne sont pas en reste !
Nous prenons possession de nos chambres. Nous sommes envahis par une saine et douce fatigue.
Cette mission est une mission conjointe entre notre cercle d’astronomie de l’UMONS, Olympus Mons et le Groupe d’Astronomes amateurs de Courrières (GAAC) : Montois et Chtis sous le même toit ! Ce sont les copains du GAAC qui coordonnent la mission et qui nous ont invités. On en parlait depuis des années, le moment était venu de passer aux actes. Leur expérience est précieuse, ils sont habitués à venir en nombre. Nous sommes 18, et tout se passe admirablement bien !
Mais qu’allons-nous faire durant cette semaine ? En ce qui me concerne, rêvasser et écrire bien entendu, mais quoi d’autre ?
Les potes du GAAC sont incroyablement doués en astrodessin, une discipline peu connue, rarement pratiquée, mais ô combien magique ! L’œil à l’oculaire des puissants télescopes de l’observatoire, ils vont observer à l’ancienne, inlassablement, amas de galaxies et nébuleuses planétaires - parfois sous des grossissements de 1000 fois ! -, pour en déposer sur le papier leurs infimes nuances. Au sein de notre groupe montois, Nicolas s’essaie lui aussi à l’astrodessin, et cette mission commune constitue pour lui une sacrée opportunité de progresser.
Quant à Cédric, Maxime, Michaël, Joël et les autres, c’est plutôt l’astrophoto qui occupera leur nuit. Maxime et Christophe ont également prévu une campagne de prises de vue au drone. Un nouveau drone, puisque l’an dernier, notre drone s’était incompréhensiblement fracassé sur les hauteurs du Pic.
Mais cette mission comporte un volet assez unique, totalement inédit. Impossible pour moi de ne pas vous en raconter la genèse, qui remonte à notre précédente mission, en août 2018.
À cette époque, l’ami Quentin, l’un des astrophotographes les plus talentueux de notre équipe, parvient à réaliser des clichés du ciel d’une qualité rare, qui montrent notamment la présence du phénomène peu connu d’airglow : de grandes bandes vertes, régulièrement espacées, strient le ciel noir du Queyras. L’atmosphère est ici tellement pure ici et préservée de la pollution lumineuse que régulièrement les astrophotographes parviennent à détecter l’émission de lumière émis par l’air lui-même, stimulé par le rayonnement solaire ! Cette année-là, Jean-François Gelly, animateur à l’observatoire, et l’ami Simon Lericque du GAAC parviennent aussi à photographier l’airglow.
Or, en février 2019, nous avons la chance d’accueillir à Mons Jean Lilensten, l’un des meilleurs spécialistes au monde des aurores boréales et des interaction entre le Soleil et la Terre. Jean travaille à l’Institut d’Astrophysique et de Planétologie de Grenoble. C’est lui qui a imaginé la fameuse planeterrella - la machine à produire des aurores boréales dans un bocal ! - qu’il nous a permis de reproduire à Mons. Alors que nous buvons un café sur la Grand-Place de Mons, je lui montre, juste pour le plaisir, l’une des photos de Quentin qui montre notamment l’airglow. Jean est très impressionné par la présence de structure dans l’airglow… « Trop cool ! M’autorisez-vous à montrer cette photo à mon équipe ? Faut qu’on monte une expédition là-haut pour étudier l’airglow avec le matériel que nous utilisons habituellement pour l’étude des aurores polaires ! » Whaow !!! Mais peut-être Jean parle-t-il sur le coup de l’enthousiasme ? Et non, car à l’heure où j’écris ces quelques lignes, nous sommes à l’observatoire avec Léo, l’un des doctorants en astrophysique de Jean, qui nous a rejoints avec le fameux matériel. Et ce n’est pas tout, car notre pote Bruno, physicien montois qui travaille aujourd’hui à l’Observatoire royal de Belgique, est aussi de la partie, pour étudier l’effet éventuel de l’airglow sur les signaux GPS ! Un des objectifs de la mission est donc l’étude combinée de l’airglow, en combinant les photos réalisées par les astrophotographes de la mission,et les mesures spécifiques de Léo et celles de Bruno ! Aucune idée de ce que cela pourra donner. Peut-être rien, mais le jeu en vaut la chandelle !
Pendant que les copains se coordonnent ce soir pour préparer l’opération airglow, une pluie glaciale tombe sur le pic de Châteaurenard. Mais dans la base, l’ambiance est merveilleuse, surtout quand Virgile et les autres s’amusent à nous titiller avec leurs objets-mystère, des instruments de mesure d’un autre temps, conçus par des génies ! Émerveillement et rire, chaleur humaine, beauté des rencontres inattendues.
Je comprends que j’ai la chance d’assister à la rencontre de trois générations d’astronomes amateurs. Ceux aux cheveux blancs qui ont contribué à faire de l’observatoire l’incroyable structure qu’il est aujourd’hui, ceux qui en profitent comme nous, et les jeunes qui montent pour la première fois et qui prendront peut-être le relai un jour
J’adore…
Et quand au moment où je m’apprête à tirer ma révérence pour aller enfin me coucher, les mots « pendule » et « expérience de Fizeau » résonnent dans la base ! Je comprends que je ne suis pas prêt d’aller au lit ! Qui pouvait imager que par une sombre nuit glaciale à 3000 m d’altitude, j’allais rencontrer d’autres constructeurs de pendules de Foucault, ainsi que des passionnés désireux de reproduire l’expérience de Fizeau ?
Quel sacré nid de cinglés cet observatoire !!!