Voici avec un peu de retard, les premières pages de notre journal de bord...
Jeudi 19 septembre 2019
L'été se termine dans quelques heures ; l'équinoxe d'automne est à nos portes. Le moment est venu de fermer les dossiers, de mettre de côté les questions non encore résolues. De savourer le travail accompli. De saluer mon incroyable équipe, que de belles choses réalisées ! Saluer les siens. Le temps de la transhumance est arrivé. Enfin. Quitter la plaine. Départ imminent. Le Pic de Château Renard nous attend. Respirer à 3000 m. Vivre à 3000 m. Explorer à 3000 m. La Terre et le Ciel. Pouvoir à nouveau plonger au coeur des profondeurs cosmiques. Vivre une aventure faite de rire et de curiosité. De joie de vivre et d'émerveillement. De calme absolu et de bouillonnement intense. Vous l'aurez deviné, c'est parti pour la nouvelle mission à l'Observatoire de Saint-Véran ! Si vous voulez, je peux essayer de vous raconter au jour le jour... Ca vous dit ?
Samedi 21 septembre 2019.
Après une longue traversée de la France – et une brève incursion en Italie -, nous voici au pied du village de Saint-Véran, l’un des plus beaux de France, le plus haut ! Saint-Véran et ses superbes maisons de bois, ses fontaines, ses cadrans solaires. On dit qu’à Saint-Véran, les coqs picorent les étoiles. Et c’est que nous aussi, on a bien envie de les picorer, les étoiles !
Nous saluons les copains qui montent en voiture, avec vivres, bagages et matériel.
À l’heure du départ, chacun y va de sa petite question, de son petit doute personnel : combien de couches de vêtements ? Polar ou coupe-vent ? Et là-haut, comment cela va-t-il se passer ?
La météo est superbe. L’atmosphère incroyablement limpide, la lumière diaphane. Les conditions sont idéales pour attaquer la grande montée. David sera notre guide, il connait les lieux comme sa poche. Ca tombe bien, car l’an dernier, nous avions emprunté un sentier qui n’en était pas un .
Dès les premiers pas, les esprits se détendent, les doutes se dissipent. Ca monte fort, très fort. Nous quittons le village. Le décor est splendide. Quel privilège que d’être ici, là, maintenant, et d’aller où nous allons !
Bonne humeur et bienveillance sont au rendez-vous. Petit pas après petit pas, nous montons, nous surmontons les difficultés. Chacun à son rythme. L’effort physique n’est pas négligeable. Notre marche se synchronise naturellement avec nos bâtons. Comme une allégorie de la vie finalement.
C’est que l’arrivée à l’observatoire se mérite. À l’heure où des milliers d’avions transportent chaque jour des millions de passagers de par le monde, en ces temps étranges où la planète n’a jamais été aussi petite, où quelques heures suffisent pour aller de New-York à Pékin, nous, nous sommes toujours en pleine transhumance ! Nous avons quitté les contrées du Nord hier matin avant le lever du Soleil, et nous ne sommes pas encore arrivés. Le temps nécessaire pour se couper de la fébrilité du monde, et en revenir aux sources. Cette montée n’est pas anodine. Éloge de la lenteur. Étonnamment, je voudrais qu’elle ne se termine jamais.
Nous sommes immergés dans la grandeur. Et toujours cette pensée incessante qui revient à chaque séjour en montagne. Cette sensation forte de ne n’être qu’un misérable puceron pensant, issu d’une espèce biologique aujourd’hui capable d’explorer les autres mondes, de libérer l’énergie du cœur des atomes, de se réparer elle-même… mais aussi de tout envahir, de tout détruire, irrémédiablement.
Et ce paysage minéral nous rappelle que les lois qui ont façonné notre Terre sont les mêmes qui celles qui ont dessiné les paysages de la Lune, de Mars ou de Vénus… Quelques valeurs de paramètres un peu différentes, et c’est le destin d’un monde qui bascule.
Nous montons, encore et toujours. Magie de la randonnée et de son rapport au temps, nous apprenons à nous connaître. Cette ascension est un moment fort.
Petite pause, Nicolas nous fait découvrir un insecte étonnant, l’ichneumon, capable d’endormir sa proie, de l’emporter dans sa tanière, et d’y injecter ses œufs : ses larves auront ainsi directement de quoi se nourrir ! Je ne connais rien de tout cela. Vertige de la connaissance. La Vie est bien trop courte pour tout explorer. Accepter et savourer.
Au fur et à mesure de la montée, le paysage devient de plus en plus aride et spectaculaire. Côté ciel, de fins cirrus commencent à recouvrir le ciel. Leurs cristaux de glace hexagonaux ont tôt fait d’orner le Soleil d’un grand halo.
Certains parmi nous commencent malheureusement à éprouver des crampes, de plus en plus violentes.
Nous voici désormais dans la zone des caillasses. Ici, tout est pierre. Nous marchons sur un sentier rocailleux qui traverse une gorge de pierres, souvent plates. Nous sommes en fait sur un ancien fond marin et ces plaques nous rappellent l’origine sédimentaire de ces hautes terres. Maxime attire notre attention sur les déformations que cet environnement a subi au cours de sa longue histoire : des strates totalement repliées sur elles-mêmes, derniers témoins des forces cyclopéennes qui ont modelé les Alpes. Et ce calme, de plus en plus absolu. Lorsque le vent cesse durant quelques instant de caresser nos oreilles, le seul bruit que nous entendons est le bourdonnement, le bruit de fond généré par notre propre système auditif !
Un vautour nous survole. Avec malice, nous nous amusons à expliquer à notre compagnon de voyage souffrant de crampes que le grand oiseau a été attiré par sa production effrénée d’acide lactique, et qu’il s’apprête à prendra sa collation ! Bon, c’est pas très sympa, mais qu’est-ce qu’on a ri !
Cela fait plus de cinq heures que nous avons quitté le village. Cette fois, le pic de Château Renard est là, devant nous, spectaculaire. Nous le contournons par la droite. Derniers lacets. Les copains montés en véhicules tout terrain viennent à notre rencontre. Les trois coupoles font leur apparition. Nous y sommes ! Même les plus discrets de la bande présentent un petit sourire qui en dit long. Les « primo-montants » sont impressionnés. Les autres heureux de retrouver leur nid d’aigle, leur balcon ouvert sur l’Univers, leur belle cabane perchée là-haut près des étoiles. Il fait gris, la lumière n’est pas très belle, mais il fait chaud dans les cœurs. Cette montée initiatique a eu raison des derniers petits stress et relents de la vie citadine.
Nous rencontrons Virgile, Michel, René et Denise, présents là-haut depuis deux semaines pour une importante mission technique. Le boulot qu’ils ont réalisé avec Dominique – quel bonheur de le retrouver à chaque mission ! - est tout simplement bluffant. L’intérieur de la grande coupole du télescope historique de 62 cm de diamètre a été totalement revu : des élèves d’un lycée technique de la région ont construit et installé une toute nouvelle structure en bois qui permet de monter au T62 ! Ils ont passé quelques jours à l’observatoire pour tout installer : quelle expérience incroyable et inoubliables pour eux, et quel cadeau ils offrent ainsi à la communauté des amoureux du ciel ! Tous les câblages électriques et électroniques ont été refaits, tout a été remis en peinture, y compris la fameuse manivelle pour faire tourner à la force des bras l’énorme coupole. L’équipe a aussi installé superbe plancher. Whaow. Et les deux autres coupoles ne sont pas en reste !
Nous prenons possession de nos chambres. Nous sommes envahis par une saine et douce fatigue.
Cette mission est une mission conjointe entre notre cercle d’astronomie de l’UMONS, Olympus Mons et le Groupe d’Astronomes amateurs de Courrières (GAAC) : Montois et Chtis sous le même toit ! Ce sont les copains du GAAC qui coordonnent la mission et qui nous ont invités. On en parlait depuis des années, le moment était venu de passer aux actes. Leur expérience est précieuse, ils sont habitués à venir en nombre. Nous sommes 18, et tout se passe admirablement bien !
Mais qu’allons-nous faire durant cette semaine ? En ce qui me concerne, rêvasser et écrire bien entendu, mais quoi d’autre ?
Les potes du GAAC sont incroyablement doués en astrodessin, une discipline peu connue, rarement pratiquée, mais ô combien magique ! L’œil à l’oculaire des puissants télescopes de l’observatoire, ils vont observer à l’ancienne, inlassablement, amas de galaxies et nébuleuses planétaires - parfois sous des grossissements de 1000 fois ! -, pour en déposer sur le papier leurs infimes nuances. Au sein de notre groupe montois, Nicolas s’essaie lui aussi à l’astrodessin, et cette mission commune constitue pour lui une sacrée opportunité de progresser.
Quant à Cédric, Maxime, Michaël, Joël et les autres, c’est plutôt l’astrophoto qui occupera leur nuit. Maxime et Christophe ont également prévu une campagne de prises de vue au drone. Un nouveau drone, puisque l’an dernier, notre drone s’était incompréhensiblement fracassé sur les hauteurs du Pic.
Mais cette mission comporte un volet assez unique, totalement inédit. Impossible pour moi de ne pas vous en raconter la genèse, qui remonte à notre précédente mission, en août 2018.
À cette époque, l’ami Quentin, l’un des astrophotographes les plus talentueux de notre équipe, parvient à réaliser des clichés du ciel d’une qualité rare, qui montrent notamment la présence du phénomène peu connu d’airglow : de grandes bandes vertes, régulièrement espacées, strient le ciel noir du Queyras. L’atmosphère est ici tellement pure ici et préservée de la pollution lumineuse que régulièrement les astrophotographes parviennent à détecter l’émission de lumière émis par l’air lui-même, stimulé par le rayonnement solaire ! Cette année-là, Jean-François Gelly, animateur à l’observatoire, et l’ami Simon Lericque du GAAC parviennent aussi à photographier l’airglow.
Or, en février 2019, nous avons la chance d’accueillir à Mons Jean Lilensten, l’un des meilleurs spécialistes au monde des aurores boréales et des interaction entre le Soleil et la Terre. Jean travaille à l’Institut d’Astrophysique et de Planétologie de Grenoble. C’est lui qui a imaginé la fameuse planeterrella - la machine à produire des aurores boréales dans un bocal ! - qu’il nous a permis de reproduire à Mons. Alors que nous buvons un café sur la Grand-Place de Mons, je lui montre, juste pour le plaisir, l’une des photos de Quentin qui montre notamment l’airglow. Jean est très impressionné par la présence de structure dans l’airglow… « Trop cool ! M’autorisez-vous à montrer cette photo à mon équipe ? Faut qu’on monte une expédition là-haut pour étudier l’airglow avec le matériel que nous utilisons habituellement pour l’étude des aurores polaires ! » Whaow !!! Mais peut-être Jean parle-t-il sur le coup de l’enthousiasme ? Et non, car à l’heure où j’écris ces quelques lignes, nous sommes à l’observatoire avec Léo, l’un des doctorants en astrophysique de Jean, qui nous a rejoints avec le fameux matériel. Et ce n’est pas tout, car notre pote Bruno, physicien montois qui travaille aujourd’hui à l’Observatoire royal de Belgique, est aussi de la partie, pour étudier l’effet éventuel de l’airglow sur les signaux GPS ! Un des objectifs de la mission est donc l’étude combinée de l’airglow, en combinant les photos réalisées par les astrophotographes de la mission,et les mesures spécifiques de Léo et celles de Bruno ! Aucune idée de ce que cela pourra donner. Peut-être rien, mais le jeu en vaut la chandelle !
Pendant que les copains se coordonnent ce soir pour préparer l’opération airglow, une pluie glaciale tombe sur le pic de Châteaurenard. Mais dans la base, l’ambiance est merveilleuse, surtout quand Virgile et les autres s’amusent à nous titiller avec leurs objets-mystère, des instruments de mesure d’un autre temps, conçus par des génies ! Émerveillement et rire, chaleur humaine, beauté des rencontres inattendues.
Je comprends que j’ai la chance d’assister à la rencontre de trois générations d’astronomes amateurs. Ceux aux cheveux blancs qui ont contribué à faire de l’observatoire l’incroyable structure qu’il est aujourd’hui, ceux qui en profitent comme nous, et les jeunes qui montent pour la première fois et qui prendront peut-être le relai un jour
J’adore…
Et quand au moment où je m’apprête à tirer ma révérence pour aller enfin me coucher, les mots « pendule » et « expérience de Fizeau » résonnent dans la base ! Je comprends que je ne suis pas prêt d’aller au lit ! Qui pouvait imager que par une sombre nuit glaciale à 3000 m d’altitude, j’allais rencontrer d’autres constructeurs de pendules de Foucault, ainsi que des passionnés désireux de reproduire l’expérience de Fizeau ?
Quel sacré nid de cinglés cet observatoire !!!
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Modifié en dernier par Francesco Lo Bue le 05 oct. 2019 20:59, modifié 1 fois.
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Dimanche 22 septembre
J’ai dormi comme une marmotte. Ca fait du bien ! Premier petit-déjeuner : brioche, confiture maison, café, jus de pomme. Top !
Comme nous sommes relativement nombreux, 18 – voire 22 avec nos amis de la mission technique -, Michel a instauré un système aussi simple que génial pour gérer les aspects intendance. Avant même notre arrivée, un tirage au sort a permis de constituer, pour chaque journée, une équipe de 4 personnes qui gère les repas, la vaisselle et l’entretien de la base. Chacun connait ainsi son jour de service, et les autres jours, il est totalement libre de faire ce qu’il veut ! Ce mode de fonctionnement, de prime abord un peu drastique, s’avère assez amusant et surtout très efficace. Merci Michel !
L’équipe de ce dimanche 22 septembre est à l’intendance ce que le GIGN est à la lutte anti-terroriste ! Une équipe de choc composée de Nicolas, Maxime, Cédric et Bruno : quand quatre passionnés de cuisine prennent le contrôle des opérations culinaires, ça déménage sous les coupoles ! Alors que certains - que nous ne nommerons pas ici - ont réussi hier l’exploit de réchauffer quelques boîtes de raviolis (ne m’en veux-pas Simon… Oops, j’ai cité ton nom, quel maladroit je fait ), les 4 chefs se lancent dans une préparation longue de près de 5 heures ! Le résultat est impressionnant : un waterzooi réalisé dans les règles de l’art, riche en légumes et en saveurs ! Et pour la cène, ils nous proposeront même une délicieuse soupe maison. Bon, il est clair que les copains ont placé la barre très haut. Mardi, ce sera au tour de mon équipe de gérer l’intendance. Là, on va moins rigoler.
Dehors, la météo continue à être des plus maussades. Jordan, le cadet de l’équipe, en profite pour sillonner sentiers et anfractuosités à la recherche des meilleurs points de vue pour installer son matériel photo et ne pas perdre la moindre minute de ciel dégagé. Pro le gars !
Petit coup de fatigue du début de l’après-midi, j’ai besoin d’une sieste. Je m’installe dans le canapé, et j’essaie de fermer les yeux pour me reposer. Je ne peux m’empêcher d’entendre et d’écouter la belle harmonie qui progressivement se met en place : des personnes qui ne se connaissaient pas encore hier collaborent activement, dans la bonne humeur et la confiance. Manifestement, de très belles choses se préparent !
Bruno, Léo, Christophe, David et Cédric préparent ensemble la stratégie photo pour immortaliser l’airglow. Même Quentin, resté en Belgique, intervient à distance ! Bruno et Léo nous expliquent que les études sur l’airglow se concentrent toujours sur l’émission de lumière rouge – longueur d’onde de 630 nanomètres pour les initiés -, alors que sur les photos réalisées par les amateurs, l’airglow apparait toujours vert ! L’idée est donc de tenter de faire apparaitre les deux composantes. En mettant en commun boîtiers photos, objectifs, filtres et montures, plusieurs options s’offrent à l’équipe. Il faudra y aller de façon structurée et ne pas s’emmêler les pinceaux entre toutes les combinaisons possibles !
L’après-midi touche à sa fin. À l’extérieur, la masse informe des nuages a laissé la place à une multitude de mers de nuages. C’est beau, mais il fait encore assez sombre. Les dernières prévisions météo sont cependant plutôt optimistes pour la toute fin de nuit : le ciel devrait se dégager pour le lever du Soleil. Et la nuit de lundi à mardi s’annonce excellente. Yes !
En attendant, les échanges continuent d’aller bon train. André joue du piano, on se croirait dans un chouette bar cosy. J’apprends que Virgile s’appelle en fait Virgilio ! Eh oui, car à force de vivre ensemble là-haut, on découvre des facettes inattendues des uns et des autres. Des trajectoires de vie totalement différentes qui finissent par se croiser, en cet endroit improbable, à cet instant précis. Des rencontres qui en préfigurent d’autres : me voilà invité en Lorraine pour aller y présenter notre grande expérience de Fizeau !
La grande nouvelle – enfin, toute relative – c’est le retour du wifi au sein de l’observatoire. Je vais enfin pouvoir poster mon premier compte-rendu. Mais je me rends rapidement compte qu’il me sera impossible d’envoyer la moindre photo, tant le débit est faible. En fait, même le simple envoi du texte depuis mon ordinateur s’avère impossible. Dès lors, après avoir converti mon fichier .doc en fichier .txt, l’avoir transféré par câble sur mon téléphone, être monté à la grande coupole, avoir positionné mon téléphone en haut du premier hublot de droite - car trente centimètres plus bas, le réseau est trop faible-, je parviens enfin à poster le compte-rendu ! Ce sera certainement mon seul exploit technologique de la mission.
Avant d’aller me coucher, je discute comètes avec Jordan. Je partage avec lui nos fabuleux souvenirs du passage de la grande comète de 1996 - la comète Hyakutake -, d’une beauté effrayante, et celle de 97, Hale-Bopp, qui nous avait subjugués avec sa double chevelure. Et je prends subitement conscience que je parle comme un vieux… je suis plus tout jeune en fait !
Direction le lit. La pluie commence à tomber. Chaudement blotti dans mon sac de couchage, je savoure l’instant. Réveil prévu à 6h40 pour aller saluer le Soleil à son lever.
Mais la nuit n’est pas de tout repos. Nous sommes 4 dans la chambre. Deux lits superposés. Bercé par le clapotis de la pluie sur les vitres, je m’endors assez rapidement. Subitement, une maudite notification téléphonique a tôt fait de me réveiller. Ironie du sort, cela fait des jours que nous sommes sans réseau téléphonique et sans wifi, et voilà qu’un téléphone connecté au néant se rappelle à nous ! Soit. Je me rendors. Et je me réveille à nouveau : l’ami Bruno, pour une raison qui m’échappe, désire allumer en rouge sa lampe frontale. Il se trompe, et l’allume en blanc, puis en rouge, puis encore en rouge, puis en blanc, puis en rouge… Grrrr, Bruno, tu fais du morse là ?
Ah, voilà, il a éteint. Parfait, je vais enfin pouvoir me rendormir. Mais voilà Bruno qui se met en mouvement et qui descend du lit superposé. Le bois grince, il me réveille à nouveau. Il tente d’allumer sa lampe rouge, mais il appuie trop rapidement : rouge, blanc, rouge… Lorsqu’il tente d’ouvrir la porte de la chambre, la poignée grince. Jean-Charles se réveille aussi et allume à son tour sa lumière rouge. Bruno revient. Poignée qui grince. Lumière rouge blanche rouge. Il remonte dans son lit, escalier qui couine. Je suis décidément bien réveillé !
J’en profite moi aussi pour passer au petit coin. Je reviens me coucher. La poignée grince et réveille à nouveau Jean-Charles qui se lève et qui à son tour fait grincer la poignée. Aaargh ! Jean-Charles revient et ferme à nouveau la porte. La poignée grince à nouveau. Je retombe dans les bras de Morphée. Pas de chance, c’est désormais le voisin qui fait grincer sa poignée, lui aussi doit probablement passer au petit coin. Je me rendors. Nouvelle notification téléphonique fantôme, nous sommes maudits ! Je me rendors. Bruno se réveille. Lumière blanche, rouge, rouge. Escalier qui grince. Lumière. Poignée. Puis c’est mon tour. Cycle infernal. Je reviens, remonte dans mon lit. Là, c’est Joël qui se réveille. A son tour d’allumer sa lampe frontale, mise en mouvement, poignée qui grince. Nous comprenons alors que nous sommes en fait tous les quatre réveillés et épuisés de fatigue. Nous éclatons de rire ! Ah, on n’est pas prêt de l’oublier cette sacré nuit ! C’est parti pour notre premier lever de Soleil.
Lundi 23 matin.
Après avois enfilé nos innombrables couches de vêtement, nous quittons la base. Il est 6h55. Il fait déjà un peu clair. On commence à distingue sur l’horizon Ouest une grande bande bleu foncé, c’est l’arche anticrépusculaire : l’ombre de la Terre qui se projette sur l’atmosphère.
Le ciel est dégagé presque partout. Nous décidons de monter tout en haut du pic de Châteaurenard. Nous sommes rejoints par Léo. Le spectacle est omniprésent. Véritable avancée dans le vide, le sommet du pic est entouré sur 270° d’un précipice qui tombe à pic sur 700 m. Au loin, de multiples mers de nuages flottent comme par magie. Les sommets enneigés des Écrins sont déjà éclairés par le Soleil. D’immenses nuages montent et redescendent lentement sur la vallée côté Viso. La journée s’annonce splendide. La prochaine nuit sera la bonne. Nous allons enfin pouvoir partir en quête de l’airglow, des galaxies et nébuleuses et de bien autres choses encore.
Quant à moi, j’espère pouvoir admirer pour la première fois la fameuse lumière zodiacale… On en reparle.
La nuit s’annonce lumineuse.
J’ai dormi comme une marmotte. Ca fait du bien ! Premier petit-déjeuner : brioche, confiture maison, café, jus de pomme. Top !
Comme nous sommes relativement nombreux, 18 – voire 22 avec nos amis de la mission technique -, Michel a instauré un système aussi simple que génial pour gérer les aspects intendance. Avant même notre arrivée, un tirage au sort a permis de constituer, pour chaque journée, une équipe de 4 personnes qui gère les repas, la vaisselle et l’entretien de la base. Chacun connait ainsi son jour de service, et les autres jours, il est totalement libre de faire ce qu’il veut ! Ce mode de fonctionnement, de prime abord un peu drastique, s’avère assez amusant et surtout très efficace. Merci Michel !
L’équipe de ce dimanche 22 septembre est à l’intendance ce que le GIGN est à la lutte anti-terroriste ! Une équipe de choc composée de Nicolas, Maxime, Cédric et Bruno : quand quatre passionnés de cuisine prennent le contrôle des opérations culinaires, ça déménage sous les coupoles ! Alors que certains - que nous ne nommerons pas ici - ont réussi hier l’exploit de réchauffer quelques boîtes de raviolis (ne m’en veux-pas Simon… Oops, j’ai cité ton nom, quel maladroit je fait ), les 4 chefs se lancent dans une préparation longue de près de 5 heures ! Le résultat est impressionnant : un waterzooi réalisé dans les règles de l’art, riche en légumes et en saveurs ! Et pour la cène, ils nous proposeront même une délicieuse soupe maison. Bon, il est clair que les copains ont placé la barre très haut. Mardi, ce sera au tour de mon équipe de gérer l’intendance. Là, on va moins rigoler.
Dehors, la météo continue à être des plus maussades. Jordan, le cadet de l’équipe, en profite pour sillonner sentiers et anfractuosités à la recherche des meilleurs points de vue pour installer son matériel photo et ne pas perdre la moindre minute de ciel dégagé. Pro le gars !
Petit coup de fatigue du début de l’après-midi, j’ai besoin d’une sieste. Je m’installe dans le canapé, et j’essaie de fermer les yeux pour me reposer. Je ne peux m’empêcher d’entendre et d’écouter la belle harmonie qui progressivement se met en place : des personnes qui ne se connaissaient pas encore hier collaborent activement, dans la bonne humeur et la confiance. Manifestement, de très belles choses se préparent !
Bruno, Léo, Christophe, David et Cédric préparent ensemble la stratégie photo pour immortaliser l’airglow. Même Quentin, resté en Belgique, intervient à distance ! Bruno et Léo nous expliquent que les études sur l’airglow se concentrent toujours sur l’émission de lumière rouge – longueur d’onde de 630 nanomètres pour les initiés -, alors que sur les photos réalisées par les amateurs, l’airglow apparait toujours vert ! L’idée est donc de tenter de faire apparaitre les deux composantes. En mettant en commun boîtiers photos, objectifs, filtres et montures, plusieurs options s’offrent à l’équipe. Il faudra y aller de façon structurée et ne pas s’emmêler les pinceaux entre toutes les combinaisons possibles !
L’après-midi touche à sa fin. À l’extérieur, la masse informe des nuages a laissé la place à une multitude de mers de nuages. C’est beau, mais il fait encore assez sombre. Les dernières prévisions météo sont cependant plutôt optimistes pour la toute fin de nuit : le ciel devrait se dégager pour le lever du Soleil. Et la nuit de lundi à mardi s’annonce excellente. Yes !
En attendant, les échanges continuent d’aller bon train. André joue du piano, on se croirait dans un chouette bar cosy. J’apprends que Virgile s’appelle en fait Virgilio ! Eh oui, car à force de vivre ensemble là-haut, on découvre des facettes inattendues des uns et des autres. Des trajectoires de vie totalement différentes qui finissent par se croiser, en cet endroit improbable, à cet instant précis. Des rencontres qui en préfigurent d’autres : me voilà invité en Lorraine pour aller y présenter notre grande expérience de Fizeau !
La grande nouvelle – enfin, toute relative – c’est le retour du wifi au sein de l’observatoire. Je vais enfin pouvoir poster mon premier compte-rendu. Mais je me rends rapidement compte qu’il me sera impossible d’envoyer la moindre photo, tant le débit est faible. En fait, même le simple envoi du texte depuis mon ordinateur s’avère impossible. Dès lors, après avoir converti mon fichier .doc en fichier .txt, l’avoir transféré par câble sur mon téléphone, être monté à la grande coupole, avoir positionné mon téléphone en haut du premier hublot de droite - car trente centimètres plus bas, le réseau est trop faible-, je parviens enfin à poster le compte-rendu ! Ce sera certainement mon seul exploit technologique de la mission.
Avant d’aller me coucher, je discute comètes avec Jordan. Je partage avec lui nos fabuleux souvenirs du passage de la grande comète de 1996 - la comète Hyakutake -, d’une beauté effrayante, et celle de 97, Hale-Bopp, qui nous avait subjugués avec sa double chevelure. Et je prends subitement conscience que je parle comme un vieux… je suis plus tout jeune en fait !
Direction le lit. La pluie commence à tomber. Chaudement blotti dans mon sac de couchage, je savoure l’instant. Réveil prévu à 6h40 pour aller saluer le Soleil à son lever.
Mais la nuit n’est pas de tout repos. Nous sommes 4 dans la chambre. Deux lits superposés. Bercé par le clapotis de la pluie sur les vitres, je m’endors assez rapidement. Subitement, une maudite notification téléphonique a tôt fait de me réveiller. Ironie du sort, cela fait des jours que nous sommes sans réseau téléphonique et sans wifi, et voilà qu’un téléphone connecté au néant se rappelle à nous ! Soit. Je me rendors. Et je me réveille à nouveau : l’ami Bruno, pour une raison qui m’échappe, désire allumer en rouge sa lampe frontale. Il se trompe, et l’allume en blanc, puis en rouge, puis encore en rouge, puis en blanc, puis en rouge… Grrrr, Bruno, tu fais du morse là ?
Ah, voilà, il a éteint. Parfait, je vais enfin pouvoir me rendormir. Mais voilà Bruno qui se met en mouvement et qui descend du lit superposé. Le bois grince, il me réveille à nouveau. Il tente d’allumer sa lampe rouge, mais il appuie trop rapidement : rouge, blanc, rouge… Lorsqu’il tente d’ouvrir la porte de la chambre, la poignée grince. Jean-Charles se réveille aussi et allume à son tour sa lumière rouge. Bruno revient. Poignée qui grince. Lumière rouge blanche rouge. Il remonte dans son lit, escalier qui couine. Je suis décidément bien réveillé !
J’en profite moi aussi pour passer au petit coin. Je reviens me coucher. La poignée grince et réveille à nouveau Jean-Charles qui se lève et qui à son tour fait grincer la poignée. Aaargh ! Jean-Charles revient et ferme à nouveau la porte. La poignée grince à nouveau. Je retombe dans les bras de Morphée. Pas de chance, c’est désormais le voisin qui fait grincer sa poignée, lui aussi doit probablement passer au petit coin. Je me rendors. Nouvelle notification téléphonique fantôme, nous sommes maudits ! Je me rendors. Bruno se réveille. Lumière blanche, rouge, rouge. Escalier qui grince. Lumière. Poignée. Puis c’est mon tour. Cycle infernal. Je reviens, remonte dans mon lit. Là, c’est Joël qui se réveille. A son tour d’allumer sa lampe frontale, mise en mouvement, poignée qui grince. Nous comprenons alors que nous sommes en fait tous les quatre réveillés et épuisés de fatigue. Nous éclatons de rire ! Ah, on n’est pas prêt de l’oublier cette sacré nuit ! C’est parti pour notre premier lever de Soleil.
Lundi 23 matin.
Après avois enfilé nos innombrables couches de vêtement, nous quittons la base. Il est 6h55. Il fait déjà un peu clair. On commence à distingue sur l’horizon Ouest une grande bande bleu foncé, c’est l’arche anticrépusculaire : l’ombre de la Terre qui se projette sur l’atmosphère.
Le ciel est dégagé presque partout. Nous décidons de monter tout en haut du pic de Châteaurenard. Nous sommes rejoints par Léo. Le spectacle est omniprésent. Véritable avancée dans le vide, le sommet du pic est entouré sur 270° d’un précipice qui tombe à pic sur 700 m. Au loin, de multiples mers de nuages flottent comme par magie. Les sommets enneigés des Écrins sont déjà éclairés par le Soleil. D’immenses nuages montent et redescendent lentement sur la vallée côté Viso. La journée s’annonce splendide. La prochaine nuit sera la bonne. Nous allons enfin pouvoir partir en quête de l’airglow, des galaxies et nébuleuses et de bien autres choses encore.
Quant à moi, j’espère pouvoir admirer pour la première fois la fameuse lumière zodiacale… On en reparle.
La nuit s’annonce lumineuse.
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Nuit du lundi 23 au mardi 24 septembre 2019
C’est la grande effervescence. Les prévisions météo pour cette nuit sont excellentes. Les préparatifs vont bon train. Michel et Simon ouvrent déjà les cimiers des coupoles. Objectif : thermostatiser les instruments avec l’air ambiant, afin de limiter la turbulence de l’air autour des télescopes, et obtenir ainsi des images de meilleure qualité.
Léo installe son drôle d’instrument sur la plateforme extérieure. On le charrie, car sa machine ressemble plus à un radar routier qu’à un instrument de pointe capable de mesurer la polarisation de la lumière en provenance des aurores boréales et, nous l’espérons, de l’airglow.
Le beau télescope Dobson d’AstroQueyras est aussi fin prêt. Les boitiers photos sont disposés un peu partout sur le site, programmés pour mitrailler quasi en continu. C’est que les idées de time-lapses ne manquent pas : coucher de Soleil, filés d’étoiles, light-painting, etc.
Malheureusement, les nuages viennent jouer les trouble-fêtes. Seule solution, attendre. Et profiter, dans tous les cas.
À la gauche du Soleil, un beau parhélie bien coloré fait son apparition. Au loin, nous observons des nuages lenticulaires – des nuages souvent confondus par le passé avec des soucoupes volantes !
Nous ne voyons pas le Soleil se coucher, la couverture nuageuse est désormais trop importante. Nous rentrons. Maxime décide quant à lui d’aller au bout de ses prises de vue, c’est qu’il est obstiné l’enfant ! Et la suite lui donnera raison…
Après le repas, alors que le ciel est encore désespérément couvert, l’équipe est sur le pied de guerre, chacun à son poste. Quant à moi, le manque de sommeil accumulé la nuit dernière commence à me jouer des tours. Mon senseur « low level energy » clignote dangereusement en rouge : je dois impérativement me mettre en charge ! Direction mon sac de couchage. Quelques heures de repos devraient suffire !
Vers 23h, Joël passe me dire qu’ils ont finalement pu déjà observer de belles choses. Ok. Remise en route du réacteur. J’enfile la moitié du contenu de ma valise : double paire de chaussettes, deux pantalons, cinq couches de vêtements, sans oublier mon tour de cou Astroqueyras, des gants et l’incontournable chapka !
À l’extérieur, les étoiles et la Voie lactée sont bien là, mais un fin voile nuageux omniprésent dégrade sensiblement la qualité du ciel. Je décide de rejoindre Simon et les autres sous la coupole du T62.
Monter de nuit sur la plateforme qui ceinture ce grand télescope, cimier ouvert sur la voûte céleste, procure une sensation assez magique. Et quand télescope et coupole se mettent en mouvement, c’est tout simplement extraordinaire : vous ne vous trouvez plus au sommet d’une montagne, à l’intérieur d’une coupole, mais bien directement dans l’espace, sur le pont d’un énorme paquebot cosmique en train de changer de cap, direction les autres univers-îles.
Simon est un habitué du T62 et de l’exploration des profondeurs célestes. Son truc à lui, comme pour beaucoup au sein du GAAC, c’est l’astrodessin. Il a jeté son dévolu il y a quelques années sur les nébuleuses et galaxies, de la plus connue à la plus évanescente à peine cataloguée par les grands observatoires professionnels, les « tachouilles » comme il se plait à les décrire. Les gars de Courrières m’ont raconté avoir passé une heure à traquer une nébuleuse planétaire au sein d’un amas globulaire, les initiés comprendront la hauteur de leur folie… et de leur talent.
La qualité du ciel semble s’améliorer. Simon nous propose d’observer NGC7009, la fameuse Nébuleuse Saturne que j’ai jamais eu l’occasion d’observer directement. L’image est spectaculaire. Le télescope collecte tellement de lumière que la nébuleuse nous révèle sa couleur, elle est bleue !!! Whaow ! Quant à son surnom de « Saturne » ben, un simple coup d’œil à l’oculaire permet de le comprendre : la nébuleuse a tout simplement la forme de la planète Saturne, mais les points communs entre la planète et la nébuleuse s’arrêtent là. Cette nébuleuse trouve son origine dans la lente agonie d’une étoile naine, une sœur du Soleil en quelque sorte, en fin de vie. La petite étoile libère lentement ses couches extérieures dans l’espace, donnant naissance à ce curieux objet. Ce sera aussi le destin de notre Soleil dans cinq milliards d’années.
Je quitte la coupole pour rejoindre les copains restés sur la plateforme. Et là, retournement de situation : les nuages ont fait place à un ciel absolument dément, noir ébène, cristallin. Ce qu’il m’est permis d’admirer ici là dépasse l’entendement, la Voie lactée est poudreuse. J’ai l’impression de distinguer individuellement les milliards d’étoiles de notre Galaxie. Au loin, une autre galaxie est visible depuis notre rivage céleste, la Grande galaxie d’Andromède. Quelle que soit la direction où l’on pose son regard, le ciel est extraordinaire. Si seulement l’Humanité pouvait voir ce que nous sommes en train de voir, et prendre la pleine mesure de ce que ce paysage céleste signifie. Chacune de ces étoiles est un soleil lointain, probablement entourée d’autres mondes. Et nous sommes là, êtres éphémères, pour quelques tours de manège. Le temps de comprendre que nous n’y comprenons pas grand-chose, le temps de vivre, d’aimer… et de disparaître.
Nicolas me propose de jeter un œil à l’oculaire du « petit » Dobson : les célèbres dentelles du Cygne sont là, lumineuses, effilées, torsadées…. Sublimes. Je ne peux m’empêcher de jurer ! Toute la base m’a entendu parait-il. Ces nébulosités sont ce qui reste des lambeaux d’une supernova, l’explosion cataclysmique d’une étoile supermassive qui a libéré en une fraction de seconde autant d’énergie que cent milliards de soleils réunis !
Direction ensuite la coupole du T500 utilisée par Michel, Yann et les autres. Ce T500 est vraiment un petit bijou. D’un look ultramoderne, il est la fusion du meilleur des deux mondes : le télescope proprement dit, d’un diamètre de 50 cm, a été réalisé par une société russe, et sa spectaculaire monture provient quant à elle des USA.
Les copains sont en train d’observer Uranus : un superbe petit disque verdâtre - on la voit comme une vraie planète, et pas simplement comme un point lumineux donc !- accompagné de sa lune Triton ! Ensuite, visite de courtoisie à la plus lointaine des planètes du Système solaire, Neptune, qui elle-aussi nous présente son disque, et une ou deux lunes. Whaow.
Michel me propose alors de redécouvrir quelques grands classiques du ciel au travers de cette machine d’enfer. Que le feu d’artifice commence ! La vision des amas globulaires M15 et M2 est indescriptible. Comment décrire en effet une chose à la beauté aussi rare et étrange qu’une boule composée de plusieurs centaines de milliers de soleils, dont les bords s’effilochent progressivement, formant des bras composés de milliers d’étoiles ? L’œil à l’oculaire, vous percevez l’ensemble de cette prodigieuse agglomération d’étoiles. Et lorsque de votre regard, vous balayez le champ de vision, l’image se modifie en permanence, mettant en avant des détails auparavant imperceptibles. Il faut savoir que lorsque de nos contrés, nous montrons l’un de ces objets au public, on devine dans le meilleur des cas une vague tache circulaire. Je ne peux m’empêcher d’imaginer la vision d’un extraterrestre qui vivreait sur une planète à l’intérieur de l’un de ces amas. Point de ciel noir pour lui, mais un ciel illuminé par des milliers de soleils éblouissants !
Michel pointe ensuite le T500 vers la célèbre nébuleuse de l’Anneau de la Lyre que Simon m’a montré il y a à peine 45 minutes à l’oculaire de l’énorme T62. Mais cette fois, les conditions sont parfaites, et Michel pousse le grossissement jusque 650 fois (une première pour moi !). Il met l’œil à l’oculaire et se prend de plein fouet le flux de photons : sa réaction est inoubliable ! Nous aussi, nous tentons l’expérience...Cet objet familier que nous observons régulièrement, parfois depuis plus de 30 ans, et que nous avons montré un nombre incalculable de fois au public, nous offre cette fois des détails inédits. Ce n’est plus nous qui l’observons, mais lui qui nous fige de son regard. « C’est l’œil de Soron », dira l’ami Yann ! Un anneau très lumineux, un peu plus sombre à l’intérieur, avec en son centre, visible par moment, la petite étoile en fin de vie. Et au niveau de l’anneau lui-même, des filaments sombre, que nous n’avions jamais vus !
Avant que je ne quitte la coupole, petit détour par la nébuleuse M1, la première nébulosité relevée par Charles Messier en août 1758, connue aujourd’hui sous le nom de nébuleuse du Crabe. Si elle s’avère facilement visible, elle est un peu décevante. De son côté, Michel part récupérer son matériel de dessin, ils en ont des choses à dessiner ici !
Je retourne sur la plateforme extérieure. J’aide Bruno à réaliser ses premières photos grand champ. Objectif : repérer le fameux airglow. Malheureusement, le phénomène n’est pas au rendez-vous cette nuit, ce que Michaël, astrophotographe expérimenté, nous confirme. Il faudra retenter une prochaine fois.
Mais ce premier galop d’essai aura été bénéfique car Bruno a pu prendre en main en conditions réelles l’appareil. Nous restons stupéfaits par la sensibilité inouïe ce boîtier que les copains nous ont prêté pour l’expérience : un appareil photo capable de monter jusqu’à près de 400 000 ISO, vous en connaissez beaucoup ? Quel progrès technologique depuis nos premières prises de vue astronomique il y a quelques décennies !
Le ciel est trop beau pour ne pas aller réveiller Christophe et Maxime, rentrés se coucher en début de nuit. Mais Maxime ne réagit pas à nos appels répétés... Serait-il mort ? Non, juste très profondément endormi. Le voici qui émerge !
La Lune vient de lever. Le ciel noir d’encre laisse la place à un ciel plus clair, un peu moins riche en étoiles. La montagne projette son ombre sur la vallée. Les constellations d’Orion et du Taureau sont là, magnifiques. L’horizon Est est parfaitement dégagé, le profil des montagnes et du mont Viso se détachent avec une netteté parfaite sur le fond du ciel. Les conditions semblent enfin réunies our tenter, tout à l’heure, au coucher du Soleil, l’observation du rayon bleu.
Il est temps pour moi d’aller me coucher. Il n’est pas loin de 3h30, et le Soleil se lèvera vers 7h15. Nicolas nous donne rendez-vous dès 7h devant la roulotte, sur le côté de la grande coupole. il promet de nous préparer transats et café chaud. Ca marche !
À l’intérieur de la base, l’ambiance est particulière. L’éclairage est rouge pour ne pas altérer notre vision nocturne. Café pour les uns, petit remontant pour les autres, gâteau, chocolat. Les équipes se croisent. Les plus courageux repartent au front.
Si le lever de la Lune est synonyme pour certains de retour au lit, pour Cédric, c’est le moment tant attendu pour sortir ses crayons et son papier. Nous découvrirons le lendemain son incroyable dessin du cratère lunaire Gassendi, d’un réalisme bluffant, mais avec une touche de poésie qu’aucune photographie ne pourrait rendre.
Comme prévu, nous nous réveillons peu avant 7h, mais le ciel est couvert, nous n’irons pas rejoindre Nico. Retour sous la couette !
Durant le petit-déjeuner, chacun raconte ce qu’il a vu, ressenti. La joie est omniprésente. La sérénité du groupe totale.
Mardi 24 septembre
Nous vivons dans les nuages aujourd’hui, au propre comme au figuré. Dans la salle de vie, les copains retravaillent clichés et dessins.
Aujourd’hui, je n’ai pas trop le temps d’écrire, Michaël, Jordan, Jean-Charles et moi gérons l’intendance !
En fin de matinée, 14 vautours planent élégamment au-dessus de la station. Superbe.
Durant l’après-midi, après une petite sieste, je décide de relever un nouveau défi personnel, de sortir de ma zone de confort. Serais-je capable d’utiliser le percolateur de la station ? Ne riez pas. Habitué à ma petite cafetière italienne, je reste perplexe devant le fonctionnement de cette machine étrange. Mais en tant qu’élève appliqué et studieux, j’ai bien écouté les conseils des potes. L’exploit devrait être à ma portée. J’observe, je réfléchis, j’agis… et je fais des conneries. Bon, ben, je ne vous raconterai pas les détails, mais ça vaut aussi son pesant d’or.
Les copains partent en randonnée, bouquetins et marmottes sont bien au rendez-vous. Pendant ce temps, je m’isole dans la salle de contrôle du T62 pour rédiger. Mais voilà que par le hublot de droite, j’aperçois le Soleil, particulièrement bas, et par la fenêtre de gauche, j’observe, en léger contrebas de l’observatoire, un banc de brouillard. Ces deux signaux déclenchent chez moi une « alerte gloire ». Je me précipite à la fenêtre de gauche, et la gloire est bien là : une superbe auréole colorée qui ceinture l’ombre de l’observatoire ! Je dévale à toute vitesse les escaliers de la station, je dois prévenir les copains : « Une gloire, une gloire ! Tous dehors ! ». Ceux qui ne connaissent pas le phénomène me regardent d’un air interloqué, se demandant quelle mouche m’a piqué. Les autres comprennent à quoi je fais allusion, et se précipitent à l’extérieur. Le spectacle est tout simplement extraordinaire ! Devant nous, en contre-bas, le brouillard. Face à nous, le mont Viso et ses 3800 m d’altitude. Chacun de nous voit son ombre projetée sur le banc de brouillard, mais une ombre déformée, fantomatique, que l’on appelle « spectre du Brocken », et nos « spectres » sont entourés de plusieurs auréoles colorées, la gloire ! Le plus étonnant, c’est que nous ne voyons que notre propre gloire, et pas celle nos voisins. C’est extraordinaire. L’explication de ce phénomène n’est pourtant pas encore totalement claire, et fait appel à de la physique relativement pointue, dingue !
Michaël se met à rire : « depuis notre arrivée, nous n’arrêtons pas de nous émerveiller pour des choses que beaucoup doivent considérer comme idiotes, c’est incroyable ! ». Et nous rions.
Un petit farceur relève le fait qu’un randonneur qui débarquerait maintenant pourraient se demander ce que peuvent bien faire 8 gars, debout, les uns aux côtés des autres, au bord de la falaise !
Vu la longue nuit passée à observer le ciel, notre timing est singulièrement décalé aujourd’hui. Le repas du soir se termine assez tard. Nos réserves en électricité sont un peu limite. Les panneaux solaires n’ont pas pu charger suffisamment les batteries. Comme nous ne prévoyons pas d’observer, nous décidons de ne pas faire appel au groupe électrogène et de passer en mode économie d’énergie. La soirée est particulièrement agréable. Bruno nous parle de ses travaux passionnants qui concernent la traque de la fameuse matière noire. Fantastique. Le groupe est tout ouïe, subjugué par ce que raconte celui que j’appelle depuis toujours « le Gamin ». Nous partageons nos histoires de platistes et autres complotistes. S’ensuit une discussion sur la perception de la science aujourd’hui, sur l’utilisation de la technologie, sur le futur de l’humanité… Alors, une intelligence artificielle pour diriger le monde, rêve ou cauchemar ?
Il est 1h du matin. Nous sommes totalement isolés du monde, et pourtant plus que jamais en connexion avec l’Univers et notre condition humaine. Nous sommes sereins, heureux.
Cieli sereni.
Nuit du mercredi 25 au jeudi 26 septembre
La nuit vient de tomber sur le pic. Alors que nous n’y croyions plus, la couverture nuageuse se dissipe totalement. C’est parti pour la deuxième nuit d’observation !
Le ciel étoilé est ici tellement spectaculaire que j’ai souvent l’impression d’évoluer à l’intérieur d’un planétarium géant… Les platistes convaincus que nous évoluons sous un dôme de cristal auraient-ils finalement raison ?
Je rejoins Michel et Simon au T500. Ils sont en train de dessiner un amas de galaxies qui se trouve dans la constellation des Poissons. Je jette un œil à l’oculaire. Une, deux, trois, quatre, cinq, six galaxies visibles en même temps et pratiquement alignées ! Certes ici, rien de spectaculaire pour un œil non averti, que du contraire, ce que l’on voit est à la limite de la visibilité. Mais se rappeler que ces petites tâches sont des galaxies distantes de plus de 200 millions d’années-lumière impose le respect. La lumière qui éclaire si faiblement notre rétine termine ici son voyage commencé il y a plus de 200 millions d’années.
Entre deux dessins, Michel nous propose d’observer la galaxie NGC7331 et ses comparses, et ensuite le fameux Quintet de Stephan, un groupe de cinq galaxies qui ont fait couler par le passé beaucoup d’encre dans le milieu des cosmologistes !
L’atmosphère sous la coupole est très particulière. Le calme est absolu, la concentration intense.
Je découvre une nouvelle façon d’aborder l’observation. Nous ne sommes plus dans la frénésie du montrer, expliquer et voir encore et toujours plus. S’autoriser à prendre le temps, savourer ces moments hors du temps passés à collecter ces quelques rares photons extragalactiques.
J’attends mon tour, confortablement assis sous la coupole, le regard levé vers le ciel. La Voie lactée est hypnotique. Je devine à l’œil nu la grande nébuleuse de l’Amérique du Nord. J’ai conscience de vivre un moment privilégié, de vivre l’indispensable inutilité de l’existence.
Maxime quant à lui s’est lancé dans une expérience peu ordinaire qui, j’en suis sûr, restera gravée dans sa mémoire jusqu’à son dernier jour. Dès la tombée de la nuit, il est monté sur le sommet du Pic de Châteaurenard. Objectif : réaliser des prises de vue inédites du ciel et de l’observatoire, des times-lapses qui s’annoncent peu habituels.
Mais si monter au pic en journée est déjà hautement impressionnant, le faire de nuit est une sacrée gageure, qui pourrait s’apparenter même à une douce folie. Un vent à décorner les bœufs y souffle quasi en permanence, il ne faut pas glisser, sous peine de se fracasser les os 700 mètres plus bas sur une épouvantable rocaille.
Le paysage qui s’offre à lui est inouï. En bas, l’observatoire, et tout en contrebas, 1000 mètre plus bas, le village de Saint-Véran dont il entend parfois sonner les cloches, selon la direction des vents. Il a l’étrange impression d’être plus haut que étoiles de la Grande Ourse. Nous restons en contact permanent via talkie-walkie.
Bruno et Léo quant à eux poursuivent leur traque de l’airglow, a priori en vain. Mais voilà qu’en fin de soirée, Michaël descend de sa coupole en courant : il vient de repérer de l’airglow bas sur l’horizon Nord-Ouest ! Bruno pointe alors son appareil dans cette direction et fait apparaître lui aussi le phénomène. Malheureusement, de grands bancs de brume et de nuages rend impossible l’utilisation de la machine de Léo. Mais quel beau premier pas ! Michaël retourne au second T500 pour finaliser sa longue pose sur le « Fantôme de Cassiopée » : curieux de voir le résultat !
Nico, Jo et Jean-Charles observent quant à eux avec le Dobson de 300mm de diamètre, toujours sympa !
Le pauvre Cédric n’a cessé quant à lui de rencontrer des difficultés techniques, pas de chance !
Petite pause à l’intérieur de la station. Café, gâteau et… un (tout petit) peu de rhum. André nous propose ensuite de nous rendre sous la coupole du T62 pour admirer l’amas globulaire M15. L’image est très belle ! Petit détour par la Nébuleuse de la Boule de neige bleue, quel superbe objet ! Une petite boule bleue qui présente de curieuses structures internes.
Yann nous propos ensuite un exercice totalement inédit pour beaucoup d’entre-nous : tenter d’observer des nébuleuses… mais non pas au sein de notre Galaxie, mais bien sur les bras spiraux d’une autre galaxie, celle du Triangle, située à 3,3 millions d’années-lumière ! Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure d’aller au bout de l’exercice : nous pouvons observer les deux premières régions, mais le ciel se couvre, c’est terminé pour cette nuit !
Je repositionne la coupole dans sa position canonique, et je ferme le cimier. André et Yann nous montrent alors les dessins qu’ils ont réalisés ce soir. La nébuleuse Omega à la forme caractéristique de cygne est de toute beauté !
Retour à la station. Ca discute dans tous les sens ! Il est 2h30 et les échanges sont plus intenses que durant le repas de midi ! Nous clôturons cette longue et belle journée par la petite salade de fruit que Cédric et moi avions préparé plus tôt dans la journée.
Il est vraiment temps d’aller se reposer !
Jeudi 26 septembre.
Pour la première fois depuis notre arrivée, le Soleil illumine le Queyras. Nous baignons littéralement dans la lumière. Le ciel est d’un bleu profond. Quelques rares nuages nacrés renforcent encore la beauté de la scène.
Simon nous rassemble à l’extérieur, devant la grande coupole : la journée est idéale pour réaliser l’incontournable photo de groupe.
L’après-midi se déroule sereinement. Traitement des images et cours particuliers en astrophotographie pour les uns, sieste ou rando pour les autres.
Une telle journée ne pouvait se terminer que par un magnifique coucher de Soleil, un de ceux que l’on n’oublie pas, qui vous stupéfie à chaque instant. J’ai la chance d’admirer ce spectacle depuis la plateforme du T62, au travers du l’immense cimier. Une sensation grandiose. Un paysage de sommets majestueux, une féérie de couleurs. Le couchant se pare d’un manteau orange profond, très intense, surmonté d’une immense zone rose diaphane. Quelques longs bancs de nuages épars flottent à l’avant-plan, telles des ombres chinoises, tantôt noirs, tantôt verts.
À cet instant, Maxime fait décoller le drone depuis l’intérieur de la grande coupole. La vieille structure métallique se retrouve métamorphosée par les derniers rayons solaires. Le drone s’éloigne de la coupole, avant d’y revenir. Le pilote jubile. Impatient de découvrir ces images totalement inédites. C’est qu’il carbure le petit Max !
La nuit s’annonce magnifique, mais glaciale. Cette fois, j’enfile non pas 5 mais 6 couches de vêtements. Je rejoins les potes à l’extérieur. Il fait presque noir. Un brouillard fantomatique remonte les pentes de la vallée et nous engloutit. Les constellations principales restent visibles. Au travers du brouillard, nous distinguons tout en haut du pic la lumière rouge émise par la lampe frontale de Maxime. Il nous explique par talkie la vision hors du commun qui s’offre à lui. Il nous demande d’allumer notre laser et de l’orienter vers le ciel, il immortalise l’instant. Mais voilà que le brouillard monte de plus en plus et finit par envelopper le pic lui-même. Maxime décide de ne pas bouger et d’attendre. Sage décision. Assez rapidement, le brouillard se dissipe là-haut.
Vus au travers du brouillard, le ciel et la Voie lactée demeurent encore faiblement visibles. En fait, même aussi fortement atténué, ce ciel demeure de loin encore supérieur à celui que nous pouvons admirer lors des meilleures nuits en Belgique !
Bruno nous invite sous la grande coupole : le grand télescope se situe désormais juste au-dessus du brouillard, et que les copains sont en train d’observer Saturne !
Nous nous retrouvons alors autour du T62. Un moment qui restera à jamais gravé dans ma mémoire, et je pèse mes mots. Nous sommes ici tous des observateurs expérimentés, nous avons pu observer Saturne des milliers de fois, mais ce que le ciel nous offre ce soir dépasse de très loin tout ce que nous avons jamais observé. Jamais au grand jamais, nous n’avions pu admirer une image de Saturne d’une telle qualité. Une image quasi spatiale !
Nous observons la planète géante sous un grossissement de plus de 700 fois. La netteté est époustouflante, l’image semble tridimensionnelle. Le disque de Saturne donne vraiment l’impression d’être une boule. L’ombre du globe de Saturne se projette sur la partie des anneaux à l’arrière. Les anneaux présentent quant à eux certains détails qu’aucun de nous n’avait précédemment observés. La célèbre ligne sombre qui parcourt tout l’anneau, découverte par Jean-Dominique Cassini au 17e siècle, et que l’on devine parfois depuis chez nous uniquement au niveau des anses, semble ici tracée au cutter et s’étend sur toute la circonférence des anneaux. Cette division de Cassini sépare l’anneau A de l’anneau B, nettement plus clair. Nous observons avec une facilité déconcertante l’anneau C, le plus intérieur, connu aussi sous le nom d’anneau de Crêpe. Whaow… Et puis voilà qu’une seconde division fait son apparition, bien plus fine, bien plus subtile que la première, la division de Encke !!! Absolument démentiel. Nous jurons comme jamais. Nous rions. Jamais, nous n’avions vu cela ! Nous courons rameuter les autres restés à l’extérieur, eux aussi doivent voir ça ! Et ce n’est pas tout. Des détails inédits se révèlent également sur le globe : au niveau de l’équateur, une bande très claire est bien visible, surmontée d’une large zone plus rougeâtre, soulignée par une fine ceinture rougeâtre également. Une structure est aussi visible près du pôle. Incroyable. La zone où la portion d’anneau disparait à l’arrière, dans l’ombre de Saturne, est surprenante. Nicolas et moi avons l’impression que l’anneau est littéralement absorbé à cet endroit par la planète. Michel réussira plus tard à distinguer la partie la plus extérieure de l’anneau qui parvient à rester éclairée. Quelle finesse dans les détails !
Et tout autour du vieux Saturne, quelques-uns de ses frères, sœurs et amantes : les lunes Rhéa, Dioné, Thétys, Encelade -le fameux satellite dont les geysers crachent en permanence des particules de glace d’eau, des molécules organiques et de la poussière. Nous tentons de repérer le minuscule Mimas, en vain.
Je ne sais plus de quel auteur est cette phrase « Pour un tel instant, il vaut la peine d’avoir vécu ». Je peux m’empêcher de la citer à haute voix.
Michel propose d’augmenter encore le grossissement. Nous montons à 1220 fois. Mais là, l’image devient pâteuse. Nous revenons à 700 fois. Je demande à Michel s’il peut immortaliser sur le papier cette vision – oserais-je parler de révélation ?
Après avoir observé Saturne, nous rencontrons quelques problèmes logiciels, le télescope est immobilisé. Yann et Michel parviennent heureusement à toute remettre en route. Direction la Nébuleuse de la Petite pierre précieuse, dans la constellation du sagittaire. Alors que je m’attendais à une petite « tachouille » informe, nous nous retrouvons au contraire face à un objet relativement impressionnant. Observé sous 700 fois de grossissement, cette nébuleuse planétaire – ce terme a été inventé par le grand William Hershel au 18e s pour qualifier les petites nébuleuses « qui ressemblent à des planètes » – fait irrémédiablement penser à la célèbre nébuleuse-anneau de la Lyre, mais ellei présente une dépression centrale juste un peu plus petite. Magnifique !
Je rejoins ensuite Simon à l’extérieur. Il m’initie à l’observation à l’œil nu du Gegenschein, un truc tellement difficile à voir - mais que nous avons vu ! , que je ne vous en dirai pas plus. Faut être un peu particulier pour apprécier ce genre d’exercice, hein Monsieur Lericque ?
Je tente ensuite une expérience de géographie cosmique. On raconte toujours – nous compris – que l’objet le plus lointain visible à l’œil nu est la grande galaxie d’Andromède, située à plus de 2,5 millions d’années-lumière. En réalité, ici, notre regard porte encore un peu plus loin.
Non loin de la grande galaxie d’Andromède, un autre univers-île est aussi visible à l’œil nu, la Galaxie du Triangle, située quant à elle à près de 3,3 millions d’années-lumière. Ces deux galaxies sont visibles non loin de la Voie lactée. Me voici donc perché sur une montagne, dans l’obscurité la plus totale, le nez levé le ciel, avec devant moi les trois immenses galaxies qui constituent notre village cosmique, le « Groupe local ». Galaxie de la Voie lactée, Grande galaxie d’Andromède et Galaxie du Triangle sont trois structures de 100 000 années -lumière de diamètre chacune, qui comportent chacune entre 100 et 300 milliards de soleils. Notre Soleil n’étant donc qu’une des 100 à 300 milliards d’étoiles de la galaxie de la Voie lactée.
Outre les instruments sous coupole, un grand nombre de télescopes et d’appareils photos sont utilisés un peu partout, sans oublier la drôle de machine de Léo : qu’il est bon de sentir une telle effervescence !
Je passe saluer Michaël, David et Jean-Charles sous la coupole Roche Brune. Ils sont en train de réaliser à l’aide du T500 de prodigieuses photos des nébuleuses de l’Aigle et d’Hélix. Les images brutes qui apparaissent sur le petit écran de l’appareil photo – toujours cette merveille technologique dont je tairai le nom, utilisée ici dans une version optimisée pour l’astrophotographie – sont hallucinantes. Les brutes sont d’un niveau général supérieur à ce que l’on peut trouver dans les plus beaux livres d’Astronomie. Leur niveau de maitrise est impressionnant !
Dehors, le ciel est toujours aussi fantastique. Mais je décide de rentrer me coucher. Les copains ne sont pas prêts quant à eux de rentrer. Plus tard dans la nuit, d’étranges nuages apparaissent et disparaissent au zénith comme par enchantement. Cette fois, même les plus obstinés finissent par capituler et rentrer au bercail. Lumière zodiacale et rayon bleu nous échappent, une fois de plus !
La mission touche presque à sa fin. Demain, nous redescendrons vers la plaine.
NB : Il est 12h33 quand je termine de rédiger ces quelques lignes. Je suis installé à l’intérieur de la grande coupole. Derrière moi, l’immense T62. Devant moi, un hublot circulaire au travers duquel je peux admirer le col Agnel et au loin, l’énorme mont Viso. Un bureau onirique, glacial. Mais impossible pour moi de résister à cette intense lumière, ce calme absolu, le murmure du vent, et ce paysage désolé, minéral.
Et déjà ce doute lancinant… Comment retourner à la fébrilité du monde moderne ?
Francesco Lo Bue
C’est la grande effervescence. Les prévisions météo pour cette nuit sont excellentes. Les préparatifs vont bon train. Michel et Simon ouvrent déjà les cimiers des coupoles. Objectif : thermostatiser les instruments avec l’air ambiant, afin de limiter la turbulence de l’air autour des télescopes, et obtenir ainsi des images de meilleure qualité.
Léo installe son drôle d’instrument sur la plateforme extérieure. On le charrie, car sa machine ressemble plus à un radar routier qu’à un instrument de pointe capable de mesurer la polarisation de la lumière en provenance des aurores boréales et, nous l’espérons, de l’airglow.
Le beau télescope Dobson d’AstroQueyras est aussi fin prêt. Les boitiers photos sont disposés un peu partout sur le site, programmés pour mitrailler quasi en continu. C’est que les idées de time-lapses ne manquent pas : coucher de Soleil, filés d’étoiles, light-painting, etc.
Malheureusement, les nuages viennent jouer les trouble-fêtes. Seule solution, attendre. Et profiter, dans tous les cas.
À la gauche du Soleil, un beau parhélie bien coloré fait son apparition. Au loin, nous observons des nuages lenticulaires – des nuages souvent confondus par le passé avec des soucoupes volantes !
Nous ne voyons pas le Soleil se coucher, la couverture nuageuse est désormais trop importante. Nous rentrons. Maxime décide quant à lui d’aller au bout de ses prises de vue, c’est qu’il est obstiné l’enfant ! Et la suite lui donnera raison…
Après le repas, alors que le ciel est encore désespérément couvert, l’équipe est sur le pied de guerre, chacun à son poste. Quant à moi, le manque de sommeil accumulé la nuit dernière commence à me jouer des tours. Mon senseur « low level energy » clignote dangereusement en rouge : je dois impérativement me mettre en charge ! Direction mon sac de couchage. Quelques heures de repos devraient suffire !
Vers 23h, Joël passe me dire qu’ils ont finalement pu déjà observer de belles choses. Ok. Remise en route du réacteur. J’enfile la moitié du contenu de ma valise : double paire de chaussettes, deux pantalons, cinq couches de vêtements, sans oublier mon tour de cou Astroqueyras, des gants et l’incontournable chapka !
À l’extérieur, les étoiles et la Voie lactée sont bien là, mais un fin voile nuageux omniprésent dégrade sensiblement la qualité du ciel. Je décide de rejoindre Simon et les autres sous la coupole du T62.
Monter de nuit sur la plateforme qui ceinture ce grand télescope, cimier ouvert sur la voûte céleste, procure une sensation assez magique. Et quand télescope et coupole se mettent en mouvement, c’est tout simplement extraordinaire : vous ne vous trouvez plus au sommet d’une montagne, à l’intérieur d’une coupole, mais bien directement dans l’espace, sur le pont d’un énorme paquebot cosmique en train de changer de cap, direction les autres univers-îles.
Simon est un habitué du T62 et de l’exploration des profondeurs célestes. Son truc à lui, comme pour beaucoup au sein du GAAC, c’est l’astrodessin. Il a jeté son dévolu il y a quelques années sur les nébuleuses et galaxies, de la plus connue à la plus évanescente à peine cataloguée par les grands observatoires professionnels, les « tachouilles » comme il se plait à les décrire. Les gars de Courrières m’ont raconté avoir passé une heure à traquer une nébuleuse planétaire au sein d’un amas globulaire, les initiés comprendront la hauteur de leur folie… et de leur talent.
La qualité du ciel semble s’améliorer. Simon nous propose d’observer NGC7009, la fameuse Nébuleuse Saturne que j’ai jamais eu l’occasion d’observer directement. L’image est spectaculaire. Le télescope collecte tellement de lumière que la nébuleuse nous révèle sa couleur, elle est bleue !!! Whaow ! Quant à son surnom de « Saturne » ben, un simple coup d’œil à l’oculaire permet de le comprendre : la nébuleuse a tout simplement la forme de la planète Saturne, mais les points communs entre la planète et la nébuleuse s’arrêtent là. Cette nébuleuse trouve son origine dans la lente agonie d’une étoile naine, une sœur du Soleil en quelque sorte, en fin de vie. La petite étoile libère lentement ses couches extérieures dans l’espace, donnant naissance à ce curieux objet. Ce sera aussi le destin de notre Soleil dans cinq milliards d’années.
Je quitte la coupole pour rejoindre les copains restés sur la plateforme. Et là, retournement de situation : les nuages ont fait place à un ciel absolument dément, noir ébène, cristallin. Ce qu’il m’est permis d’admirer ici là dépasse l’entendement, la Voie lactée est poudreuse. J’ai l’impression de distinguer individuellement les milliards d’étoiles de notre Galaxie. Au loin, une autre galaxie est visible depuis notre rivage céleste, la Grande galaxie d’Andromède. Quelle que soit la direction où l’on pose son regard, le ciel est extraordinaire. Si seulement l’Humanité pouvait voir ce que nous sommes en train de voir, et prendre la pleine mesure de ce que ce paysage céleste signifie. Chacune de ces étoiles est un soleil lointain, probablement entourée d’autres mondes. Et nous sommes là, êtres éphémères, pour quelques tours de manège. Le temps de comprendre que nous n’y comprenons pas grand-chose, le temps de vivre, d’aimer… et de disparaître.
Nicolas me propose de jeter un œil à l’oculaire du « petit » Dobson : les célèbres dentelles du Cygne sont là, lumineuses, effilées, torsadées…. Sublimes. Je ne peux m’empêcher de jurer ! Toute la base m’a entendu parait-il. Ces nébulosités sont ce qui reste des lambeaux d’une supernova, l’explosion cataclysmique d’une étoile supermassive qui a libéré en une fraction de seconde autant d’énergie que cent milliards de soleils réunis !
Direction ensuite la coupole du T500 utilisée par Michel, Yann et les autres. Ce T500 est vraiment un petit bijou. D’un look ultramoderne, il est la fusion du meilleur des deux mondes : le télescope proprement dit, d’un diamètre de 50 cm, a été réalisé par une société russe, et sa spectaculaire monture provient quant à elle des USA.
Les copains sont en train d’observer Uranus : un superbe petit disque verdâtre - on la voit comme une vraie planète, et pas simplement comme un point lumineux donc !- accompagné de sa lune Triton ! Ensuite, visite de courtoisie à la plus lointaine des planètes du Système solaire, Neptune, qui elle-aussi nous présente son disque, et une ou deux lunes. Whaow.
Michel me propose alors de redécouvrir quelques grands classiques du ciel au travers de cette machine d’enfer. Que le feu d’artifice commence ! La vision des amas globulaires M15 et M2 est indescriptible. Comment décrire en effet une chose à la beauté aussi rare et étrange qu’une boule composée de plusieurs centaines de milliers de soleils, dont les bords s’effilochent progressivement, formant des bras composés de milliers d’étoiles ? L’œil à l’oculaire, vous percevez l’ensemble de cette prodigieuse agglomération d’étoiles. Et lorsque de votre regard, vous balayez le champ de vision, l’image se modifie en permanence, mettant en avant des détails auparavant imperceptibles. Il faut savoir que lorsque de nos contrés, nous montrons l’un de ces objets au public, on devine dans le meilleur des cas une vague tache circulaire. Je ne peux m’empêcher d’imaginer la vision d’un extraterrestre qui vivreait sur une planète à l’intérieur de l’un de ces amas. Point de ciel noir pour lui, mais un ciel illuminé par des milliers de soleils éblouissants !
Michel pointe ensuite le T500 vers la célèbre nébuleuse de l’Anneau de la Lyre que Simon m’a montré il y a à peine 45 minutes à l’oculaire de l’énorme T62. Mais cette fois, les conditions sont parfaites, et Michel pousse le grossissement jusque 650 fois (une première pour moi !). Il met l’œil à l’oculaire et se prend de plein fouet le flux de photons : sa réaction est inoubliable ! Nous aussi, nous tentons l’expérience...Cet objet familier que nous observons régulièrement, parfois depuis plus de 30 ans, et que nous avons montré un nombre incalculable de fois au public, nous offre cette fois des détails inédits. Ce n’est plus nous qui l’observons, mais lui qui nous fige de son regard. « C’est l’œil de Soron », dira l’ami Yann ! Un anneau très lumineux, un peu plus sombre à l’intérieur, avec en son centre, visible par moment, la petite étoile en fin de vie. Et au niveau de l’anneau lui-même, des filaments sombre, que nous n’avions jamais vus !
Avant que je ne quitte la coupole, petit détour par la nébuleuse M1, la première nébulosité relevée par Charles Messier en août 1758, connue aujourd’hui sous le nom de nébuleuse du Crabe. Si elle s’avère facilement visible, elle est un peu décevante. De son côté, Michel part récupérer son matériel de dessin, ils en ont des choses à dessiner ici !
Je retourne sur la plateforme extérieure. J’aide Bruno à réaliser ses premières photos grand champ. Objectif : repérer le fameux airglow. Malheureusement, le phénomène n’est pas au rendez-vous cette nuit, ce que Michaël, astrophotographe expérimenté, nous confirme. Il faudra retenter une prochaine fois.
Mais ce premier galop d’essai aura été bénéfique car Bruno a pu prendre en main en conditions réelles l’appareil. Nous restons stupéfaits par la sensibilité inouïe ce boîtier que les copains nous ont prêté pour l’expérience : un appareil photo capable de monter jusqu’à près de 400 000 ISO, vous en connaissez beaucoup ? Quel progrès technologique depuis nos premières prises de vue astronomique il y a quelques décennies !
Le ciel est trop beau pour ne pas aller réveiller Christophe et Maxime, rentrés se coucher en début de nuit. Mais Maxime ne réagit pas à nos appels répétés... Serait-il mort ? Non, juste très profondément endormi. Le voici qui émerge !
La Lune vient de lever. Le ciel noir d’encre laisse la place à un ciel plus clair, un peu moins riche en étoiles. La montagne projette son ombre sur la vallée. Les constellations d’Orion et du Taureau sont là, magnifiques. L’horizon Est est parfaitement dégagé, le profil des montagnes et du mont Viso se détachent avec une netteté parfaite sur le fond du ciel. Les conditions semblent enfin réunies our tenter, tout à l’heure, au coucher du Soleil, l’observation du rayon bleu.
Il est temps pour moi d’aller me coucher. Il n’est pas loin de 3h30, et le Soleil se lèvera vers 7h15. Nicolas nous donne rendez-vous dès 7h devant la roulotte, sur le côté de la grande coupole. il promet de nous préparer transats et café chaud. Ca marche !
À l’intérieur de la base, l’ambiance est particulière. L’éclairage est rouge pour ne pas altérer notre vision nocturne. Café pour les uns, petit remontant pour les autres, gâteau, chocolat. Les équipes se croisent. Les plus courageux repartent au front.
Si le lever de la Lune est synonyme pour certains de retour au lit, pour Cédric, c’est le moment tant attendu pour sortir ses crayons et son papier. Nous découvrirons le lendemain son incroyable dessin du cratère lunaire Gassendi, d’un réalisme bluffant, mais avec une touche de poésie qu’aucune photographie ne pourrait rendre.
Comme prévu, nous nous réveillons peu avant 7h, mais le ciel est couvert, nous n’irons pas rejoindre Nico. Retour sous la couette !
Durant le petit-déjeuner, chacun raconte ce qu’il a vu, ressenti. La joie est omniprésente. La sérénité du groupe totale.
Mardi 24 septembre
Nous vivons dans les nuages aujourd’hui, au propre comme au figuré. Dans la salle de vie, les copains retravaillent clichés et dessins.
Aujourd’hui, je n’ai pas trop le temps d’écrire, Michaël, Jordan, Jean-Charles et moi gérons l’intendance !
En fin de matinée, 14 vautours planent élégamment au-dessus de la station. Superbe.
Durant l’après-midi, après une petite sieste, je décide de relever un nouveau défi personnel, de sortir de ma zone de confort. Serais-je capable d’utiliser le percolateur de la station ? Ne riez pas. Habitué à ma petite cafetière italienne, je reste perplexe devant le fonctionnement de cette machine étrange. Mais en tant qu’élève appliqué et studieux, j’ai bien écouté les conseils des potes. L’exploit devrait être à ma portée. J’observe, je réfléchis, j’agis… et je fais des conneries. Bon, ben, je ne vous raconterai pas les détails, mais ça vaut aussi son pesant d’or.
Les copains partent en randonnée, bouquetins et marmottes sont bien au rendez-vous. Pendant ce temps, je m’isole dans la salle de contrôle du T62 pour rédiger. Mais voilà que par le hublot de droite, j’aperçois le Soleil, particulièrement bas, et par la fenêtre de gauche, j’observe, en léger contrebas de l’observatoire, un banc de brouillard. Ces deux signaux déclenchent chez moi une « alerte gloire ». Je me précipite à la fenêtre de gauche, et la gloire est bien là : une superbe auréole colorée qui ceinture l’ombre de l’observatoire ! Je dévale à toute vitesse les escaliers de la station, je dois prévenir les copains : « Une gloire, une gloire ! Tous dehors ! ». Ceux qui ne connaissent pas le phénomène me regardent d’un air interloqué, se demandant quelle mouche m’a piqué. Les autres comprennent à quoi je fais allusion, et se précipitent à l’extérieur. Le spectacle est tout simplement extraordinaire ! Devant nous, en contre-bas, le brouillard. Face à nous, le mont Viso et ses 3800 m d’altitude. Chacun de nous voit son ombre projetée sur le banc de brouillard, mais une ombre déformée, fantomatique, que l’on appelle « spectre du Brocken », et nos « spectres » sont entourés de plusieurs auréoles colorées, la gloire ! Le plus étonnant, c’est que nous ne voyons que notre propre gloire, et pas celle nos voisins. C’est extraordinaire. L’explication de ce phénomène n’est pourtant pas encore totalement claire, et fait appel à de la physique relativement pointue, dingue !
Michaël se met à rire : « depuis notre arrivée, nous n’arrêtons pas de nous émerveiller pour des choses que beaucoup doivent considérer comme idiotes, c’est incroyable ! ». Et nous rions.
Un petit farceur relève le fait qu’un randonneur qui débarquerait maintenant pourraient se demander ce que peuvent bien faire 8 gars, debout, les uns aux côtés des autres, au bord de la falaise !
Vu la longue nuit passée à observer le ciel, notre timing est singulièrement décalé aujourd’hui. Le repas du soir se termine assez tard. Nos réserves en électricité sont un peu limite. Les panneaux solaires n’ont pas pu charger suffisamment les batteries. Comme nous ne prévoyons pas d’observer, nous décidons de ne pas faire appel au groupe électrogène et de passer en mode économie d’énergie. La soirée est particulièrement agréable. Bruno nous parle de ses travaux passionnants qui concernent la traque de la fameuse matière noire. Fantastique. Le groupe est tout ouïe, subjugué par ce que raconte celui que j’appelle depuis toujours « le Gamin ». Nous partageons nos histoires de platistes et autres complotistes. S’ensuit une discussion sur la perception de la science aujourd’hui, sur l’utilisation de la technologie, sur le futur de l’humanité… Alors, une intelligence artificielle pour diriger le monde, rêve ou cauchemar ?
Il est 1h du matin. Nous sommes totalement isolés du monde, et pourtant plus que jamais en connexion avec l’Univers et notre condition humaine. Nous sommes sereins, heureux.
Cieli sereni.
Nuit du mercredi 25 au jeudi 26 septembre
La nuit vient de tomber sur le pic. Alors que nous n’y croyions plus, la couverture nuageuse se dissipe totalement. C’est parti pour la deuxième nuit d’observation !
Le ciel étoilé est ici tellement spectaculaire que j’ai souvent l’impression d’évoluer à l’intérieur d’un planétarium géant… Les platistes convaincus que nous évoluons sous un dôme de cristal auraient-ils finalement raison ?
Je rejoins Michel et Simon au T500. Ils sont en train de dessiner un amas de galaxies qui se trouve dans la constellation des Poissons. Je jette un œil à l’oculaire. Une, deux, trois, quatre, cinq, six galaxies visibles en même temps et pratiquement alignées ! Certes ici, rien de spectaculaire pour un œil non averti, que du contraire, ce que l’on voit est à la limite de la visibilité. Mais se rappeler que ces petites tâches sont des galaxies distantes de plus de 200 millions d’années-lumière impose le respect. La lumière qui éclaire si faiblement notre rétine termine ici son voyage commencé il y a plus de 200 millions d’années.
Entre deux dessins, Michel nous propose d’observer la galaxie NGC7331 et ses comparses, et ensuite le fameux Quintet de Stephan, un groupe de cinq galaxies qui ont fait couler par le passé beaucoup d’encre dans le milieu des cosmologistes !
L’atmosphère sous la coupole est très particulière. Le calme est absolu, la concentration intense.
Je découvre une nouvelle façon d’aborder l’observation. Nous ne sommes plus dans la frénésie du montrer, expliquer et voir encore et toujours plus. S’autoriser à prendre le temps, savourer ces moments hors du temps passés à collecter ces quelques rares photons extragalactiques.
J’attends mon tour, confortablement assis sous la coupole, le regard levé vers le ciel. La Voie lactée est hypnotique. Je devine à l’œil nu la grande nébuleuse de l’Amérique du Nord. J’ai conscience de vivre un moment privilégié, de vivre l’indispensable inutilité de l’existence.
Maxime quant à lui s’est lancé dans une expérience peu ordinaire qui, j’en suis sûr, restera gravée dans sa mémoire jusqu’à son dernier jour. Dès la tombée de la nuit, il est monté sur le sommet du Pic de Châteaurenard. Objectif : réaliser des prises de vue inédites du ciel et de l’observatoire, des times-lapses qui s’annoncent peu habituels.
Mais si monter au pic en journée est déjà hautement impressionnant, le faire de nuit est une sacrée gageure, qui pourrait s’apparenter même à une douce folie. Un vent à décorner les bœufs y souffle quasi en permanence, il ne faut pas glisser, sous peine de se fracasser les os 700 mètres plus bas sur une épouvantable rocaille.
Le paysage qui s’offre à lui est inouï. En bas, l’observatoire, et tout en contrebas, 1000 mètre plus bas, le village de Saint-Véran dont il entend parfois sonner les cloches, selon la direction des vents. Il a l’étrange impression d’être plus haut que étoiles de la Grande Ourse. Nous restons en contact permanent via talkie-walkie.
Bruno et Léo quant à eux poursuivent leur traque de l’airglow, a priori en vain. Mais voilà qu’en fin de soirée, Michaël descend de sa coupole en courant : il vient de repérer de l’airglow bas sur l’horizon Nord-Ouest ! Bruno pointe alors son appareil dans cette direction et fait apparaître lui aussi le phénomène. Malheureusement, de grands bancs de brume et de nuages rend impossible l’utilisation de la machine de Léo. Mais quel beau premier pas ! Michaël retourne au second T500 pour finaliser sa longue pose sur le « Fantôme de Cassiopée » : curieux de voir le résultat !
Nico, Jo et Jean-Charles observent quant à eux avec le Dobson de 300mm de diamètre, toujours sympa !
Le pauvre Cédric n’a cessé quant à lui de rencontrer des difficultés techniques, pas de chance !
Petite pause à l’intérieur de la station. Café, gâteau et… un (tout petit) peu de rhum. André nous propose ensuite de nous rendre sous la coupole du T62 pour admirer l’amas globulaire M15. L’image est très belle ! Petit détour par la Nébuleuse de la Boule de neige bleue, quel superbe objet ! Une petite boule bleue qui présente de curieuses structures internes.
Yann nous propos ensuite un exercice totalement inédit pour beaucoup d’entre-nous : tenter d’observer des nébuleuses… mais non pas au sein de notre Galaxie, mais bien sur les bras spiraux d’une autre galaxie, celle du Triangle, située à 3,3 millions d’années-lumière ! Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure d’aller au bout de l’exercice : nous pouvons observer les deux premières régions, mais le ciel se couvre, c’est terminé pour cette nuit !
Je repositionne la coupole dans sa position canonique, et je ferme le cimier. André et Yann nous montrent alors les dessins qu’ils ont réalisés ce soir. La nébuleuse Omega à la forme caractéristique de cygne est de toute beauté !
Retour à la station. Ca discute dans tous les sens ! Il est 2h30 et les échanges sont plus intenses que durant le repas de midi ! Nous clôturons cette longue et belle journée par la petite salade de fruit que Cédric et moi avions préparé plus tôt dans la journée.
Il est vraiment temps d’aller se reposer !
Jeudi 26 septembre.
Pour la première fois depuis notre arrivée, le Soleil illumine le Queyras. Nous baignons littéralement dans la lumière. Le ciel est d’un bleu profond. Quelques rares nuages nacrés renforcent encore la beauté de la scène.
Simon nous rassemble à l’extérieur, devant la grande coupole : la journée est idéale pour réaliser l’incontournable photo de groupe.
L’après-midi se déroule sereinement. Traitement des images et cours particuliers en astrophotographie pour les uns, sieste ou rando pour les autres.
Une telle journée ne pouvait se terminer que par un magnifique coucher de Soleil, un de ceux que l’on n’oublie pas, qui vous stupéfie à chaque instant. J’ai la chance d’admirer ce spectacle depuis la plateforme du T62, au travers du l’immense cimier. Une sensation grandiose. Un paysage de sommets majestueux, une féérie de couleurs. Le couchant se pare d’un manteau orange profond, très intense, surmonté d’une immense zone rose diaphane. Quelques longs bancs de nuages épars flottent à l’avant-plan, telles des ombres chinoises, tantôt noirs, tantôt verts.
À cet instant, Maxime fait décoller le drone depuis l’intérieur de la grande coupole. La vieille structure métallique se retrouve métamorphosée par les derniers rayons solaires. Le drone s’éloigne de la coupole, avant d’y revenir. Le pilote jubile. Impatient de découvrir ces images totalement inédites. C’est qu’il carbure le petit Max !
La nuit s’annonce magnifique, mais glaciale. Cette fois, j’enfile non pas 5 mais 6 couches de vêtements. Je rejoins les potes à l’extérieur. Il fait presque noir. Un brouillard fantomatique remonte les pentes de la vallée et nous engloutit. Les constellations principales restent visibles. Au travers du brouillard, nous distinguons tout en haut du pic la lumière rouge émise par la lampe frontale de Maxime. Il nous explique par talkie la vision hors du commun qui s’offre à lui. Il nous demande d’allumer notre laser et de l’orienter vers le ciel, il immortalise l’instant. Mais voilà que le brouillard monte de plus en plus et finit par envelopper le pic lui-même. Maxime décide de ne pas bouger et d’attendre. Sage décision. Assez rapidement, le brouillard se dissipe là-haut.
Vus au travers du brouillard, le ciel et la Voie lactée demeurent encore faiblement visibles. En fait, même aussi fortement atténué, ce ciel demeure de loin encore supérieur à celui que nous pouvons admirer lors des meilleures nuits en Belgique !
Bruno nous invite sous la grande coupole : le grand télescope se situe désormais juste au-dessus du brouillard, et que les copains sont en train d’observer Saturne !
Nous nous retrouvons alors autour du T62. Un moment qui restera à jamais gravé dans ma mémoire, et je pèse mes mots. Nous sommes ici tous des observateurs expérimentés, nous avons pu observer Saturne des milliers de fois, mais ce que le ciel nous offre ce soir dépasse de très loin tout ce que nous avons jamais observé. Jamais au grand jamais, nous n’avions pu admirer une image de Saturne d’une telle qualité. Une image quasi spatiale !
Nous observons la planète géante sous un grossissement de plus de 700 fois. La netteté est époustouflante, l’image semble tridimensionnelle. Le disque de Saturne donne vraiment l’impression d’être une boule. L’ombre du globe de Saturne se projette sur la partie des anneaux à l’arrière. Les anneaux présentent quant à eux certains détails qu’aucun de nous n’avait précédemment observés. La célèbre ligne sombre qui parcourt tout l’anneau, découverte par Jean-Dominique Cassini au 17e siècle, et que l’on devine parfois depuis chez nous uniquement au niveau des anses, semble ici tracée au cutter et s’étend sur toute la circonférence des anneaux. Cette division de Cassini sépare l’anneau A de l’anneau B, nettement plus clair. Nous observons avec une facilité déconcertante l’anneau C, le plus intérieur, connu aussi sous le nom d’anneau de Crêpe. Whaow… Et puis voilà qu’une seconde division fait son apparition, bien plus fine, bien plus subtile que la première, la division de Encke !!! Absolument démentiel. Nous jurons comme jamais. Nous rions. Jamais, nous n’avions vu cela ! Nous courons rameuter les autres restés à l’extérieur, eux aussi doivent voir ça ! Et ce n’est pas tout. Des détails inédits se révèlent également sur le globe : au niveau de l’équateur, une bande très claire est bien visible, surmontée d’une large zone plus rougeâtre, soulignée par une fine ceinture rougeâtre également. Une structure est aussi visible près du pôle. Incroyable. La zone où la portion d’anneau disparait à l’arrière, dans l’ombre de Saturne, est surprenante. Nicolas et moi avons l’impression que l’anneau est littéralement absorbé à cet endroit par la planète. Michel réussira plus tard à distinguer la partie la plus extérieure de l’anneau qui parvient à rester éclairée. Quelle finesse dans les détails !
Et tout autour du vieux Saturne, quelques-uns de ses frères, sœurs et amantes : les lunes Rhéa, Dioné, Thétys, Encelade -le fameux satellite dont les geysers crachent en permanence des particules de glace d’eau, des molécules organiques et de la poussière. Nous tentons de repérer le minuscule Mimas, en vain.
Je ne sais plus de quel auteur est cette phrase « Pour un tel instant, il vaut la peine d’avoir vécu ». Je peux m’empêcher de la citer à haute voix.
Michel propose d’augmenter encore le grossissement. Nous montons à 1220 fois. Mais là, l’image devient pâteuse. Nous revenons à 700 fois. Je demande à Michel s’il peut immortaliser sur le papier cette vision – oserais-je parler de révélation ?
Après avoir observé Saturne, nous rencontrons quelques problèmes logiciels, le télescope est immobilisé. Yann et Michel parviennent heureusement à toute remettre en route. Direction la Nébuleuse de la Petite pierre précieuse, dans la constellation du sagittaire. Alors que je m’attendais à une petite « tachouille » informe, nous nous retrouvons au contraire face à un objet relativement impressionnant. Observé sous 700 fois de grossissement, cette nébuleuse planétaire – ce terme a été inventé par le grand William Hershel au 18e s pour qualifier les petites nébuleuses « qui ressemblent à des planètes » – fait irrémédiablement penser à la célèbre nébuleuse-anneau de la Lyre, mais ellei présente une dépression centrale juste un peu plus petite. Magnifique !
Je rejoins ensuite Simon à l’extérieur. Il m’initie à l’observation à l’œil nu du Gegenschein, un truc tellement difficile à voir - mais que nous avons vu ! , que je ne vous en dirai pas plus. Faut être un peu particulier pour apprécier ce genre d’exercice, hein Monsieur Lericque ?
Je tente ensuite une expérience de géographie cosmique. On raconte toujours – nous compris – que l’objet le plus lointain visible à l’œil nu est la grande galaxie d’Andromède, située à plus de 2,5 millions d’années-lumière. En réalité, ici, notre regard porte encore un peu plus loin.
Non loin de la grande galaxie d’Andromède, un autre univers-île est aussi visible à l’œil nu, la Galaxie du Triangle, située quant à elle à près de 3,3 millions d’années-lumière. Ces deux galaxies sont visibles non loin de la Voie lactée. Me voici donc perché sur une montagne, dans l’obscurité la plus totale, le nez levé le ciel, avec devant moi les trois immenses galaxies qui constituent notre village cosmique, le « Groupe local ». Galaxie de la Voie lactée, Grande galaxie d’Andromède et Galaxie du Triangle sont trois structures de 100 000 années -lumière de diamètre chacune, qui comportent chacune entre 100 et 300 milliards de soleils. Notre Soleil n’étant donc qu’une des 100 à 300 milliards d’étoiles de la galaxie de la Voie lactée.
Outre les instruments sous coupole, un grand nombre de télescopes et d’appareils photos sont utilisés un peu partout, sans oublier la drôle de machine de Léo : qu’il est bon de sentir une telle effervescence !
Je passe saluer Michaël, David et Jean-Charles sous la coupole Roche Brune. Ils sont en train de réaliser à l’aide du T500 de prodigieuses photos des nébuleuses de l’Aigle et d’Hélix. Les images brutes qui apparaissent sur le petit écran de l’appareil photo – toujours cette merveille technologique dont je tairai le nom, utilisée ici dans une version optimisée pour l’astrophotographie – sont hallucinantes. Les brutes sont d’un niveau général supérieur à ce que l’on peut trouver dans les plus beaux livres d’Astronomie. Leur niveau de maitrise est impressionnant !
Dehors, le ciel est toujours aussi fantastique. Mais je décide de rentrer me coucher. Les copains ne sont pas prêts quant à eux de rentrer. Plus tard dans la nuit, d’étranges nuages apparaissent et disparaissent au zénith comme par enchantement. Cette fois, même les plus obstinés finissent par capituler et rentrer au bercail. Lumière zodiacale et rayon bleu nous échappent, une fois de plus !
La mission touche presque à sa fin. Demain, nous redescendrons vers la plaine.
NB : Il est 12h33 quand je termine de rédiger ces quelques lignes. Je suis installé à l’intérieur de la grande coupole. Derrière moi, l’immense T62. Devant moi, un hublot circulaire au travers duquel je peux admirer le col Agnel et au loin, l’énorme mont Viso. Un bureau onirique, glacial. Mais impossible pour moi de résister à cette intense lumière, ce calme absolu, le murmure du vent, et ce paysage désolé, minéral.
Et déjà ce doute lancinant… Comment retourner à la fébrilité du monde moderne ?
Francesco Lo Bue
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